Défendre les défenseurs des droits humains

Les droits de l’homme sont un des piliers de la démocratie et pourtant ces droits sont bafoués et ceux qui les défendent sont de plus en plus harcelés voire violentés jusque dans les pays démocratiques. Ces pays sont-ils en train de renoncer à leurs principes ?

Dans le numéro du 29 juillet de La Croix L’Hebdo, Elodie Maurot interroge le philosophe canadien Charles Taylor. À la question: dans une démocratie comment surmonter le(s) grave(s) clivage(s) entre citoyens ? – entre blancs et noirs américains aux États-Unis, entre Français musulmans ou ex-colonisés et ceux des Français qui se sentent menacés par leur présence – celui-ci, en complément à sa réponse, ajoute : « Face à ces difficultés, ou bien nous disons que les régimes autoritaires ont raison, et nous renonçons à l’égalité et à l’autogestion, nous laissant gouverner par des chefs que l’on espérera bienveillants. Ou bien on essaye d’avancer ».

La puissance des régimes démocratiques repose sur le fait de fonder leur autorité sur le droit, pas sur la force ; et sur les plus éminents des droits que sont les droits humains fondamentaux. Essayer d’avancer sur ce terrain, c’est ce que font les défenseurs des droits de l’homme de tous les pays du monde, individus ou associations, en rappelant aux États qu’ils ont le devoir de respecter les principes et les règles qu’ils ont forgés ou ratifiés à l’ONU.

On comprend que l’action des défenseurs puisse déplaire aux politiques peu soucieux de voir leur autorité contestée ou leur image ternie. Aussi, après un long débat de 14 ans, les gouvernements ont-ils adopté à l’ONU en 1998 une résolution qui reconnait le rôle-clé des Défenseurs dans la réalisation des droits humains, définit leurs droits et modalités d’action et qui, de ce fait, les protège en principe de l’arbitraire des États[1].

Las ! Il s’agit d’une résolution non contraignante, que nombre d’États détournent ou ignorent bien qu’elle soit régulièrement rappelée. L’imagination des gouvernements pour réduire au silence les défenseurs qui les dérangent est sans limite : faire traîner l’enregistrement de leurs associations ; obliger celles qui reçoivent des fonds de l’étranger à s’enregistrer comme agent de l’étranger ou faire transiter ces fonds par un compte public et ne les débloquer que pour des actions qui reçoivent l’aval des autorités ; interdire la diffusion de nouvelles qui pourraient troubler l’ordre public ou que les autorités jugent fausses ; harceler judiciairement les responsables des associations, les mettre en prison sous des prétextes fallacieux, les envoyer en camp de rééducation, les torturer ou même les exécuter. Il n’est pas de jour ou de telles dérives ou violences ne soient dénoncées par des associations de défense des droits humains en Russie, en Chine, en Asie, en Afrique, en Amérique Latine… et, aussi, moins fréquentes et souvent moins brutales, en Europe et en Amérique du Nord.

En Europe, les défenseurs qui subissent harcèlements policier et judiciaires sont, principalement, ceux qui assistent migrants et réfugiés en mer, aux frontières et dans les camps ou qui s’opposent à leur renvoi dans des pays où ils risquent la torture. À cet égard, les dérives récentes de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, sont préoccupantes. D’après un rapport non publié[2] de l’Office européen de lutte antifraude, l’OLAF, Frontex aurait couvert des pratiques de refoulement de migrants hors des eaux territoriales en contradiction avec la Convention de Genève qui interdit de repousser au-delà des eaux territoriales une embarcation transportant des personnes en danger[3]. Il est, en effet, grave que le directeur et des agents de Frontex aient pu passer outre les principes qu’ils doivent servir et troublant que la Commission que certains considèrent comme « trop centrée sur les questions de droits de l’homme »[4] n’ait toujours pas publié ce rapport.

Comme nous y invite Charles Taylor, il faut choisir et non pas se laisser dériver vers l’“illibéralisme” et l’autoritarisme sinon l’Europe ne pourra plus se targuer d’être un lieu de refuge pour les opprimés ni même le lieu où ses citoyens peuvent faire valoir leur dignité humaine en s’appuyant sur ces droits. Alors, oui, nous avons besoin des défenseurs des droits humains et besoin d’assumer collectivement la responsabilité de les protéger et de les encourager.

P.S. Un nouveau champ s’ouvre aux défenseurs des droits humains avec la déclaration par l’Assemblée Générale de l’ONU du droit universel à l’accès à un environnement propre, sain et durable[5], un droit sur lequel pourront s’appuyer les milliers d’associations qui se consacrent au climat, à la biodiversité, à la santé, à l’urbanisme…

[1] Déclaration A/RES/53/144 : Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

[2] Voir dans Le Monde qui a eu accès au rapport, l’article de Thomas Statius publié le 29 juillet.

[3] Protocole additionnel à la Convention de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes de conflits armés non-internationaux, adoptée le 8 juin 1977, articles 7 et 8.

[4] Article du Monde, op. cit.

[5] Résolution de l’Assemblée Générale du 28 juillet 2022, adoptée par 161 pays sur 169 présents et 8 abstentions celles de la Chine, la Fédération de Russie, le Bélarus, le Cambodge, l’Éthiopie, l’Iran, le Kirghizistan et la Syrie.

Yves Berthelot, économiste français, ancien fonctionnaire des Nations unies et président du Comité français pour la solidarité internationale et du Centre International Développement et Civilisations

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