Avant la retraite : revisitons le sens du travail !

Les manifestations contre la réforme des retraites, dans la capitale comme dans les villes moyennes, battent leur plein depuis 3 semaines, et près de 70% des Français se disent opposés à cette réforme[1]. On peut s’interroger : quel est le sens profond de cette mobilisation et qu’est-ce que cela dit de notre rapport au travail ?

Si les carrières furent un jour rectilignes, répétitives, prévisibles, elles sont aujourd’hui bien plus heurtées : ré-orientation, chômage, accident de la vie, congés parentaux, plans sociaux, etc.

L’âge de 64 ans semble pour beaucoup un horizon inatteignable : les corps sont fatigués, les esprits las. Le professeur ne se voit plus enseigner à cet âge, le manutentionnaire est épuisé, le cadre en entreprise aimerait transmettre et passer la main… Les efforts semblent trop lourds pour beaucoup.

Parmi les phénomènes de plus en plus documentés, la grande démission met en lumière des évolutions de notre rapport au travail : selon une étude de la Dares[2] , fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut, avec près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. Un taux de démission à mettre en regard des difficultés de recrutement rencontrées dans tous les secteurs de l’économie.

Sommes-nous pour autant devenus une nation paresseuse ? Je ne le crois pas. La France reste d’ailleurs l’un des pays du monde où la productivité par travailleur est la plus forte[3]. Les évolutions du rapport au travail ces dernières décennies, et encore plus après la pandémie, sont un impensé de cette réforme.

Comment faire une réforme sur l’âge si on ne prend pas le temps d’exprimer de la reconnaissance aux personnes pour leur travail ? Comment, de façon structurelle, penser l’équilibre entre vie professionnelle, vie personnelle et familiale, engagement associatif ? Pour quelles évolutions de notre projet de société ?

Quand, dans les années 1990, 60% des personnes interrogées considéraient leur travail très important, seuls 25% l’affirment aujourd’hui, selon un sondage Ifop pour l’institut Jean Jaurès[4].

Il semble nécessaire de ré-interroger notre rapport au travail et à la production de biens et de services. Et plus profondément, à travers cela, notre rapport aux autres. Que voulons-nous ? Travailler mieux ? Avec plus de sens ? Plus en proximité ? A quoi sommes-nous prêts à renoncer pour un travail qui corresponde mieux à nos aspirations : A du salaire ? A des vacances ?

Le travail participe de la dignité de la personne humaine et favorise (dans la grande majorité) la relations aux autres.

L’enseignement social de l’Eglise nous donne quelques repères :

Dans Laborem exercens[5], paru en 1981, Jean Paul II rappelle que les chrétiens plaident pour qu’un « ordre social du travail » évite à l’homme « de se dégrader dans le travail en usant ses forces physiques », mais surtout « en entamant la dignité et la subjectivité qui lui sont propres ».

Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI ajoute que le travail a une « valeur éthique » : même pénible et fatiguant, il est un vrai « bien de l’homme », un « bien de son humanité » (§ 9). Par le travail, l’homme « transforme la nature en l’adaptant à ses propres besoins », mais aussi « se réalise lui-même », « devient plus homme ».

Dans la constitution pastorale Gaudium et Spes, parue en 1965 au moment du Concile Vatican II, on peut lire : « Il est encore trop courant, même de nos jours, que ceux qui travaillent soient en quelque sorte asservis à leurs propres œuvres ; ce que de soi-disant lois économiques ne justifient en aucune façon »[6]. Le même texte précise plus loin : « Les travailleurs doivent aussi avoir la possibilité de développer leurs qualités et leur personnalité dans l’exercice même de leur travail ». Grâce aux temps de repos, « ils doivent avoir la possibilité de déployer librement des facultés et des capacités qu’ils ont peut-être peu l’occasion d’exercer dans leur travail professionnel ». Ce texte reste tout à fait actuel par les grands principes qu’il pose.

Ainsi donc, au moment où la société se crispe à la perspective d’un allongement de la durée du travail avant la retraite, il nous faut probablement, entre autres, repenser notre imaginaire du travail, et ce qui lui donne de la valeur : le travail non pas comme une souffrance expiatoire (du péché originel) mais comme une transformation, à la fois de notre environnement naturel (l’extérieur) et de notre humanité personnelle (l’intérieur) ; c’est-à-dire voir le travail comme une conversion de notre personne, en un humain plus pleinement humain, et de notre monde en un monde plus vivable.

Il serait donc bon de nous questionner sur le sens du travail, pour soi et pour le collectif.

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[1] https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-la-reforme-des-retraites-apres-la-mobilisation-du-31-janvier

[2] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-france-vit-elle-une-grande-demission

[3] https://data.oecd.org/fr/lprdty/pib-par-heure-travaillee.htm

[4] https://www.ifop.com/publication/le-rapport-des-francais-au-travail

[5] https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_14091981_laborem-exercens.html

[6] https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651207_gaudium-et-spes_fr.html

Alice Le Moal, administratrice des SSF

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