La crise sanitaire, une crise du temps

Psychologiquement, la crise sanitaire que nous vivons se présente avant tout comme une crise de notre relation au temps.

Auparavant, alors que nous nous déplacions sans trop de mal sur nos agendas en essayant de planifier nos vies, nous vivions une accélération constante de nos existences sous la pression conjointe d’une économie fondée sur la concurrence (premier arrivé, premier servi et plus vite produit, moins cher produit) et du mythe d’un progrès indéfini de l’humanité. Notre civilisation, tendue vers des lendemains qui chantent reposait de plus en plus, malgré les alarmes, sur cette dynamique un peu comme un cycliste en équilibre instable sur son vélo qui ne peut s’arrêter sans tomber. Cette accélération avait même fini par devenir problématique car elle produisait – et continue de produire – une exclusion croissante de ceux qui ne sont plus « dans la course » ou craignent simplement de ne plus y demeurer, ce qui provoque burn out, dépression, exclusion. C’est la fameuse « culture du déchet » dont parle le pape François. Elle favorisait aussi une course à l’immédiateté et était en passe de faire de nous des enfants capricieux et impatients, oublieux de leur passé.

La crise sanitaire a déstabilisé tout cela. Tout d’abord le premier confinement, en arrêtant brutalement la machine, a mis en lumière notre dépendance abyssale à la croissance. Mais aujourd’hui, après un an de crise, nous mesurons l’impact de la crise sur nos vies. Il devient de plus en plus difficile de se projeter dans un avenir devenu brusquement incertain. Le retour à la situation précédente, le fameux « comme avant » s’éloigne lui aussi peu à peu de notre horizon. Et les décisions sanitaires sont toutes décalées de ces fameux quinze jours (contagion, incubation, déclaration de la maladie, hospitalisation) qui sont si faciles à comprendre et pourtant si difficiles à intégrer. Accros au « tout tout de suite », nous avons tout à coup l’impression que tout est ralenti, inadapté.

Pourtant si nous y regardons à deux fois, nous constatons que tout, ou presque, est affaire d’opportunité. Quelle est la meilleure décision non pas dans l’absolu mais au bon moment, compte-tenu des incidences à court, moyen et long terme que celle-ci aura ? Ainsi, par exemple, si un confinement absolu est efficace sur la propagation du virus, encore faut-il en imaginer les retombées économiques, sanitaires, psycho-sociologiques et considérer aussi ce que font nos voisins proches et lointains. Nous comprenons mieux que décidément « tout est lié » et que chaque décision, personnelle, sociale ou politique, a son lot de conséquences proches ou lointaines, qui forment parfois boucle. Ainsi de la vaccination. S’il est tentant de garder le fameux vaccin pour soi, cela s’avère non seulement indéfendable moralement mais aussi inefficace à terme puisque le virus risque de revenir, muté, de nos voisins délaissés. Sans parler, bien évidemment de notre relation à la Terre. C’est la destruction de la bio-diversité – cycle long – qui provoque ce type de maladies, s’en préoccuper ensemble est un investissement de long terme indispensable.

Savoir prendre la bonne décision au bon moment devient ainsi à la fois une science, un art et une éthique. S’y exercer est indispensable car il est bien probable que cela devienne l’essentiel de notre condition temporelle : non pas accélérer à tout prix ni programmer abstraitement sur un calendrier mais choisir le moment favorable, le kairos des Evangiles, en tenant compte au maximum de tout et de tous.

Jean-Pierre Rosa, philosophe, éditeur et ancien délégué général des Semaines sociales de France

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