La mission des politiques pour refaire société en France

Texte complet de la table-ronde « La mission des politiques pour refaire société en France lors de la 94e Rencontre des Semaines sociales de  France

Marie-Guite Dufay(1)

Depuis 25 ans, les questions d’inégalités et d’exclusion nous frappent à la figure de plus en plus fort. Notre société est fragmentée, faite d’une multitude d’îlots, générationnels, culturels, géographiques, qui ne s’écoutent pas, alors que partout éclosent des initiatives de solidarité, autour de l’écologie, par exemple, bien souvent associatives. Sans cet engagement collectif, le tissu social explose.

Les compétences des collectivités

La région paraît loin pour les citoyens. Les collectivités ont des compétences qui leur sont attribuées par la loi et doivent faire avec ces compétences. La solidarité, par exemple, relève du département. Que peut faire la région dans ce domaine ? Je vais donner quelques exemples pour situer comment l’action politique peut jouer.

Concernant les fractures sur le marché du travail, il y a ceux qui s’en sortent ou non, ceux qui en sont exclus ou non, ceux qui sont broyés par la mondialisation et ceux qui en profitent, ceux qui sont protégés ou exposés. La région a une compétence importante en matière de formation. Celle-ci peut dépasser l’amélioration de la qualification. La Bourgogne-Franche-Comté est une grande région industrielle, où l’emploi a été percuté par les vagues de délocalisation, mais il est encore là, on peut le fortifier si on veille à travailler les bonnes compétences, à expérimenter, à mieux protéger les hommes et les femmes.

Au sortir de la guerre, on a mis en place la Sécurité sociale. On pourrait instaurer une sécurité sociale professionnelle. Lors de la crise de 2008, les entreprises se sont retrouvées du jour au lendemain sans carnet de commande. Grâce à une coopération région-partenaires sociaux-État, nous avons lancé un système expérimental où 15 000 salariés, tout en restant dans leur entreprise, ont bénéficié de l’équivalent de leur salaire et se sont formés pendant le gros de la crise. Quand l’entreprise a repris son rythme, elle a bénéficié de leurs nouvelles compétences. Je me souviens avoir vu des salariés les larmes aux yeux, car ils avaient découvert la liberté qu’apporte la formation.

Nous apportons aussi notre soutien à l’Économie sociale et solidaire sur deux secteurs capitaux : l’insertion et l’aide à domicile. Les entreprises d’insertion par l’activité économique sont portées la plupart du temps par des associations qui ont un postulat : personne n’est inemployable. Sans bénévoles, ces entreprises ne fonctionneraient pas. On n’a pas trouvé mieux pour remettre au travail des personnes qui en sont très loin. Le secteur de l’aide à domicile, absolument essentiel, est mal considéré, mal rémunéré, c’est un scandale public. Les associations qui s’en chargent sont financées par les départements, l’Assurance maladie, les caisses de retraite et nous sommes la seule région à mettre en place un financement complémentaire. Compte tenu du service public que rendent les associations, les pouvoirs publics devraient être plus présents.

La fracture territoriale

C’est quelque chose que nous ressentons très fort. Nous sommes une région industrielle mais aussi très rurale, et nous percevons ce sentiment d’abandon des populations, que ce soit le cas ou non. On peut constater que les commerces disparaissent, que les médecins sont en nombre insuffisant, qu’il y a un problème de transport. Chacun se sent prisonnier. La question des transports et des mobilités est primordiale. Le mouvement des Gilets jaunes est parti de là, car, quand on habite en milieu rural, c’est souvent difficile de rejoindre la ville, les commerces, le travail. Nous avons mis en place un ticket-mobilité pour les salariés, sur le modèle du chèque restaurant. La loi permet aux employeurs de prendre en charge une partie des frais pour les transports en commun, ce qui exclut nombre d’habitants des campagnes. Nous avons négocié avec les chefs d’entreprise pour aider les salariés contraints de prendre leur voiture parce qu’il n’y a pas de transport en commun là où ils habitent. Ce ticket mobilité est financé pour moitié par la région et pour moitié par l’entreprise.

Sentiment d’abandon, réalité d’abandon ? Je ne sais pas. On voit que la fracture numérique est en train de se résorber. Je pense que, dans le monde de demain, les  territoires ruraux auront largement leur place parce qu’on aura redécouvert la qualité de vie, l’harmonie, la paix, à condition que les services soient accessibles. C’est aussi dans ces territoires que je vois des maires se livrer à des expérimentations, des mesures innovantes dans les domaines de la solidarité, de l’écologie, qui parviennent à faire des communes autonomes en énergie, qui mettent en place des circuits courts de producteurs locaux. Il y a de l’innovation partout, ne désespérons pas des campagnes !

Dans notre région se situe la commune la plus froide de France, Mouthe, dans le Doubs. Dans cette commune, il y a eu une mobilisation à 100 % des habitants pour accueillir, il y a cinq ans, une famille très nombreuse de migrants irakiens. Au bout de cinq ans, l’intégration est totale. De solidarité en solidarité, ils ont trouvé logement, véhicule, appris le français et trouvé du travail au bout du compte. Il ne faut pas désespérer, il y a trop de morosité dans l’air aujourd’hui, les témoignages sont trop souvent négatifs.

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(1) Marie-Guite Dufay est présidente de la Région Bourgogne Franche-Comté.

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