Quelle vie économique demain et quelle vie, tout court ?

Texte complet de la table-ronde « Quelle vie économique demain et quelle vie tout court » lors de la 94e Rencontre des Semaines sociales de France.

Dominique Seux(1) : Sven Giegold, vous êtes un acteur politique. En quoi la crise du Covid modifie-t-elle votre regard sur les dysfonctionnements de l’économie ? Qu’est-ce qui doit changer ou non ?

Sven Giegold(2) : On voit très clairement que cette crise est une vraie crise mondiale. Or, il n’y a pas vraiment d’organisation mondiale capable de gérer de telles pandémies. En Europe, notre capacité d’agir ensemble au début de cette crise était en panne. Nous avons néanmoins pu observer des réactions de solidarité forte dans certains pays, mais aussi des limites à l’efficacité sur le plan économique. Nous avons beaucoup débattu en Allemagne du manque d’efficacité de notre système de santé. On pensait qu’on avait trop d’hôpitaux, de services de santé locaux dans les municipalités. Nous nous sommes rendu compte que ces précautions étaient nécessaires. Nous avons constaté la dépendance à certains produits pharmaceutiques dont nous manquons en Europe, d’où la nécessité de relocaliser la production de certains médicaments. Ce n’est pas acceptable qu’il nous manque régulièrement près de 300 substances. Nous avons vu la capacité d’action de l’Union européenne, pas au début, mais ensuite avec le programme de Next Generation Europe qui va mobiliser 750 milliards d’euros financés par une taxation commune. C’est un signe de solidarité qui nous a manqué pendant la crise de l’euro. Les fonds vont être investis dans le  premier problème mondial qu’est le changement climatique. C’est une bonne chose que l’Europe travaille à sortir de la crise par les investissements plutôt que par une nouvelle vague d’austérité.

Dominique Seux : Élizabeth Ducottet, comment la cheffe d’entreprise a-t-elle vécu cette période ?

Élizabeth Ducottet(3) : Je vais me placer sur le plan de la micro économie, du terrain, d’une entreprise industrielle partiellement internationalisée et majoritairement européenne située à Saint-Étienne, dans un territoire éprouvé dans son industrie. Nous avons vécu une expérience inédite, en perdant du jour au lendemain du confinement, la moitié de notre chiffre d’affaires, et ce pour deux raisons : les pharmacies, lieux de distribution de nos produits, se sont toutes concentrées sur le traitement du Covid ; les hôpitaux, sur une seule thérapeutique, celle du Covid. L’orthopédie ne les intéresse plus pendant un certain temps. Nous prenons immédiatement trois décisions : l’entreprise ne s’arrêtera pas ; nous ferons tout pour ne pas impacter l’emploi ; il y aura trois contributeurs : l’État (chômage partiel) ; l’entreprise grâce à ses fonds propres ; et chacun des collaborateurs. Avec ces trois contributeurs, il y a toute chance de s’en sortir. Nous avons ainsi vécu une expérience inédite avec une collectivité des salariés qui se met immédiatement en route pour faire face, expérience qui vaut la peine d’être saluée. L’entreprise s’installe hors les murs avec le télétravail. Enfin, nous nous mettons en marche avec l’Afnor, la Direction générale des entreprises, le ministère de l’Économie pour concevoir et produire des masques-barrières. En six semaines s’établissent une nouvelle norme, des directives des pouvoirs publics, un rapport permanent avec les autorités qui orientent la distribution des produits que nous fabriquons. C’est une expérience inédite, y compris dans ce rapport nouveau aux autorités.

Dominique Seux : On entend les chefs d’entreprise dire que l’État est une abomination. Cela change-t-il votre regard sur l’État ?

Élizabeth Ducottet : Cette expérience dynamique commune vécue lors du confinement change les choses immédiatement et fondamentalement. Je pense qu’on ne reviendra pas totalement en arrière. Ce qui s’est passé va modifier le rapport des entreprises à l’État, et des collaborateurs à l’entreprise.

Dominique Seux : Cela a-t-il changé votre façon de réfléchir sur le système économique lui-même, où la mondialisation avec ses avantages et ses inconvénients a dominé largement ?

Élizabeth Ducottet : Nous avons fait l’expérience concrète de l’indépendance de l’entreprise qui permet de disposer d’espaces industriels proches que nous avons pu mobiliser immédiatement. Cette indépendance nous a été utile.

Dominique Seux : Bertrand Badré, vous avez écrit plusieurs ouvrages après la crise de 2008, crise qui aurait révélé les failles du système financier. Quelle leçon tirez-vous de ce que nous vivons actuellement, à priori étranger à l’économie ?

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(1) Dominique Seux est directeur délégué de la rédaction des Échos.

(2) Sven Giegold est député européen de Rhénanie du Nord-Westphalie (groupe des Verts).

(3) Élizabeth Ducottet est PDG du groupe Thuasne et représentante du Mouvement des ETI.

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