Danone Community

Emmanuel Faber aura été trahi finalement par son caractère autant que par l’insuffisance de ses résultats. C’est ce que l’on peut comprendre à la lecture de nombreux articles qui reviennent sur l’éviction brutale du dirigeant charismatique (1) , celui-là même qui avait été choisi par Frank Riboud en 2008, dix ans après son entrée dans le groupe Danone, pour occuper la fonction de directeur général délégué chargé des affaires financières, des ressources humaines et de l’innovation sociétale, et devenir finalement son PDG en 2017.

On n’épiloguera pas ici sur le caractère qui revient à l’intime de la personne. Mais on voudra insister sur la vision de l’entreprise et de l’économie qui l’animait et dont on espère qu’elle ne s’éteindra pas avec son départ. Elle lui avait fait écrire, en prologue d’une intervention donnée en 2009 aux Semaines sociales de France qu’« Il reviendra tôt ou tard au gouvernement d’entreprise d’accepter de rentrer dans l’articulation du nécessaire, de l’utile et du superflu. Ce discernement concrétisera la réconciliation de l’économique et du social en un seul et même projet, sociétalement intelligible. Ceci suppose dans l’entreprise l’ouverture d’une vision, le développement d’une pensée, l’articulation d’un langage, la mise en œuvre concrète de moyens de gouvernance, l’acceptation d’arbitrages nouveaux, et bien d’autres utopies encore (2)… »

Un élément de cette intervention prononcée en dialogue avec Elena Lasida, mérite par les temps qui courent d’être particulièrement mis en exergue (3) ; Il s’agit de la considération portée par le jeune dirigeant de l’époque aux salariés de l’entreprise regardés comme une communauté de personnes. En cela il prenait l’exact contrepied du capitalisme financier qui voit au contraire l’entreprise comme la propriété exclusive de ses actionnaires, susceptible à ce titre d’être vendue ou dépecée comme une simple marchandise. La vocation globale de Danone était déjà « d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », tout en démontrant que cela pouvait être rentable. Elle s’illustrait sous l’impulsion de Frank Riboud par le lancement en coopération avec Mohamed Yunus de « Danone communities (4) ». Emmanuel Faber insistait sur les fruits que pourrait porter « en interne » dans l’entreprise cette initiative et prophétisait : « La raison pour laquelle demain nos enfants entreront dans une entreprise multinationale ne tiendra pas seulement à la rémunération, mais aussi à la capacité de travailler à quelque chose qui ait du sens pour eux (5) ».

Les quelques contacts que je puis avoir avec des salariés de Danone me permettent de croire que cette ambition n’était pas vaine et qu’elle se reflète encore dans une fierté d’appartenance à cette grande entreprise. C’est ce que suggèrent aussi l’approbation donnée par les salariés au passage par le statut d’entreprise à mission, comme le soutien que les deux représentants des salariés au sein du CA de Danone auront apporté jusqu’au bout à leur PDG. A tout le moins cette considération pour la communauté des salariés se retrouve-t-elle dans le message d’adieu que leur a adressé Emmanuel Faber et dans son choix de ne requérir ni indemnités de départ, ni retraite chapeau.

Aujourd’hui, la chance de cette grande entreprise, exceptionnelle dans le paysage français et agroalimentaire international, c’est de pouvoir compter sur une communauté de salariés que l’on espère résiliente au grand coup de barre donné à sa gouvernance. Il faut vraiment souhaiter que les successeurs d’Emmanuel Faber et l’actionnaire majoritaire Danone SA, aient à cœur de la conforter.

Jérôme Vignon, Président d’honneur des Semaines sociales de France

1. Voir par exemple sur Atlantico avec une excellente vidéo de JM Sylvestre https://atlantico.fr/article/decryptage/danone—les-trois-vraies-raisons-qui-ont-provoque-le-depart-d-emmanuel-faber-jean-marc-sylvestre.

2. Article d’E. Faber pour La Croix « L’économique et le social ne font qu’un » novembre 2009

3. « Nouvelles pauvretés, nouvelles solidarités », actes de la session des Semaines sociales de France novembre 2009.

4. https://www.cairn.info/revue-le-journal-de-l-ecole-de-paris-du-management-2012-1-page-17.htm

5. « Nouvelles pauvretés, nouvelles solidarités », actes de la session des Semaines sociales de France novembre 2009.

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