Dossier Plateforme du Bien Commun

Le désert relationnel des jeunes, parlons-en !

Par Pascal Verbeke, de la JOC

Des fraternités blessées

Les jeunes qui sont accompagnés par la JOC sont de plus en plus souvent marqués par l’isolement. Il se manifeste de diverses façons :

– Isolement au lycée (quand ce n’est pas du harcèlement scolaire)

– Solitude dans la vie de travail avec peu d’occasions d’échanger sur le sens de celui-ci

– Un confinement qui peut durer bien au-delà de ce que nous avons tous connu… quand on crée sa propre entreprise et qu’on travaille à deux pas de son lit. Certains me disent, en fin de journée : « je n’ai pas ouvert la bouche de la journée »

– Egarement des jeunes que je rencontre à l’égard du politique… Une grande vulnérabilité à tout ce qui circule sur internet (complotisme, soupçon exagéré à l’égard des médias)

– Virtualité de la fraternité : Facebook mais aussi vie imaginaire (voire mythomanie)

Une carte de relations déserte

Accompagnateur de JOC, le désert relationnel des jeunes me frappe. En JOC, lors des premières rencontres, on fait presque systématiquement la carte de relations. Il s’agit de repérer et de nommer les personnes qui nous entourent, d’apprendre à faire attention à la parole des jeunes. Depuis quelques années, on découvre des jeunes qui vivent le confinement toute l’année. La JOC devient leur lieu de socialisation N°1.

Notre rôle d’accompagnateur évolue… Nous devenons des « tisseurs de lien », des « entremetteurs ». Nous nous efforçons de briser la glace entre les jeunes isolés, de les encourager à enrichir la relation avec les autres, même au-delà des réunions. Il faut du temps, mais ça marche !

Nous agissons en tant que chrétiens, animés par le désir de leur faire goûter l’amour de Dieu : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». L’amour de Dieu se vit toujours avec l’amour du frère

Nous ne commençons pas notre itinéraire spirituel par des grandes vérités de la foi avec eux. Cela serait inapproprié. C’est à partir de la résonnance des gestes et paroles du quotidien avec l’Evangile qu’ils découvrent un Jésus qui se passionne de l’humanité et fait alliance avec elle. Leur lecture de l’Evangile et l’accueil de leurs paroles par l’accompagnement et par les copains, leur révèle que leurs paroles comptent.

Des fraternités niées

L’invisibilité est selon moi l’aspect le plus marquant. Nous nous adressons à des jeunes dits du milieu ouvrier, ou des classes populaires. En 2020, au sens du BIT, 5,3 millions de Français sont ouvriers, ce qui représente 20% de la population. Pourtant, un idéal de moyennisation de la société fausse nos regards. Quand nous parlons d’ « ouvrier », le réflexe immédiat de nos interlocuteurs est de dire : « les ouvriers, ça n’existe plus ». L’existence de 20% de la population est ainsi niée ! Cette négation est souvent l’expression de personnes qui ont pourtant des travaux répétitifs, qui font de la maintenance de machines ou d’ordinateurs, qui sont livreurs ou caristes, qui travaillent parfois de nuit, qui ont un faible niveau d’étude mais préfèrent s’imaginer « employé ». Nous savons aussi que les moins qualifiés sont le plus souvent confrontés au chômage et qu’ainsi leur identification est moins évidente (un ouvrier au chômage se dit-il encore ouvrier ?). Il n’empêche que des hommes et des femmes se voient priver de leur nom.

Les milieux populaires semblent aussi se détourner pour une large part de leurs représentants politiques traditionnels. Jérôme Fourquet écrit au sujet de l’emprise du RN sur les catégories populaires : «Tout se passe comme si le parti lepéniste avait progressivement capitalisé sur le ressentiment et le sentiment de relégation culturelle et sociale des publics les moins diplômés au fur et à mesure que le niveau éducatif moyen était rehaussé.»

Il faut bien le reconnaître : au-delà des préoccupations politiques, ce qui pose problème est que nous refusons le droit d’exister à ces personnes en les privant de leur nom. Comment ne pas être attiré par l’identité nationale quand on nie votre identité professionnelle ou sociale ? Notre pari, avec la JOC, est de cheminer avec eux, d’éveiller leur esprit critique, de leur faire découvrir une histoire dont ils peuvent être fiers… Quand on est chrétien, on sait l’importance de nommer les choses, de pouvoir trouver un espace de parole où se dire, où l’on peut mêler notre histoire à celle de toute l’Eglise ainsi qu’à son avenir. Le mot religion a plusieurs étymologies : religio = je relis, je recueille pour donner du sens ; mais aussi : « ligare, lier » ; ou encore « scrupule (Plaute), prendre soin, respecter ». Donner un nom, donner du sens, c’est acheminer à l’existence !

storage?id=2852456&type=picture&secret=N8lSS8EGbMkQgc7zVP368dh5bLRvRVRvQ8z3xqBY&timestamp=1669112182

Les plus récents

Voir plus