Après une année charnière

Tant la guerre en Ukraine et la résilience des démocraties que la prise de conscience par tous du dérèglement climatique en raison de canicules, sécheresses ou inondations exceptionnelles font de l’année 2022 une année charnière. En ce tout début de 2023, cela invite chacun à un retour sur ces événements pour réfléchir par lui-même à leurs conséquences.

Respecter la Charte de l’ONU

Fin février 2022, l’invasion de l’Ukraine, pays aux frontières reconnues y compris par l’envahisseur, a été une surprise[1] et un choc. La Russie, membre permanent du Conseil de Sécurité a violé le principe de l’intégrité territoriale des États qui figure à l’article 2.4 de la Charte de l’ONU[2]. Ce principe n’interdit pas la modification des frontières par accord entre les pays frontaliers concernés, mais interdit le recours à la menace ou à la force pour régler tout différend.

Construire une nouvelle gouvernance globale qui fasse place aux plus modestes

Le Conseil de Sécurité étant paralysé par ses vetos, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté en 2022 trois résolutions en conséquence des actions de la Russie en Ukraine “exigeant un arrêt immédiat des hostilités“ le 2 mars, “suspendant la Russie du Conseil des Droits de l’Homme” le 7 avril, lui “demandant de revenir sur sa tentative d’annexion illégale de quatre régions d’Ukraine” le 12 octobre.

Que la Russie n’en ait tenu aucun compte n’a pas surpris, ce qui a retenu l’attention est le nombre important des pays émergents ou en développement qui se sont abstenus lors des votes, respectivement 35, 58 et 35, dont l’Inde et la Chine par trois fois[3]. Les analystes y ont vu la marque de la dépendance de nombreux pays au blé, au pétrole et aux armes russes, la solidarité des régimes autoritaires ou, plutôt qu’un anti-occidentalisme croissant, le désir des pays en développement, malgré leurs divisions, d’une autre gouvernance mondiale.

Ce désir remonte loin. On se rappelle : la conférence de Bandung, 1955, qui a encouragé les peuples encore colonisés à lutter pour leur indépendance ; la naissance du mouvement des non-alignés qui refusait de prendre parti entre l’Est et l’Ouest, 1961 ; le groupe des 77 unissant, encore aujourd’hui, Afrique, Asie et Amérique Latine dans de nombreuses négociations de l’ONU. Est apparue dans la presse cette année une expression utilisée par les universitaires : « Sud global » qui, selon certains, regroupe les Suds, constitués par l’ensemble des pays et personnes affectées par le fonctionnement d’un capitalisme dominé par la finance. Mais sans doute est-ce Alfred Sauvy qui dès 1952 avait saisi le besoin de dignité de maîtrise de leur destin des peuples et des personnes en une phrase magnifique : « Car enfin ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le Tiers-Etat, veut lui aussi être quelque chose »[4]. Mais si une nouvelle gouvernance mondiale peut se préparer pendant une guerre, comme ce fut le cas pour l’ONU, elle ne pourra se négocier qu’une fois la paix retrouvée.

S’investir dans le renforcement de la démocratie

La résilience des démocraties est la bonne nouvelle de l’année écoulée alors que le nombre des dictatures, régimes autoritaires et autocraties n’a jamais été aussi élevé et que, dans nombre de pays démocratiques, les partis qui prônent l’autoritarisme pour la sécurité et l’efficacité gagnent des voix. L’Europe a surmonté ses divergences pour assister l’Ukraine et recevoir ses réfugiés, les institutions américaines résistent au Trumpisme, l’Ukraine a renforcé sa démocratie fragile tout en résistant à une invasion armée. Par contre, malgré sa puissante armée, Poutine n’a pas remporté la victoire éclair qu’il escomptait et malgré le contrôle systématique de la population Xi Jimping a dû renoncer à la politique 0 covid qu’il avait imposée à cause des manifestations de mécontentement et du ralentissement de l’économie, en Iran les protestations contre la théocratie au pouvoir se poursuivent malgré une répression cruelle.

Pour notre planète, passer de la recherche indéfinie d’avoir plus à celle d’être plus.

Depuis 1850, la température moyenne de la terre a augmenté de 1,10° ; le réchauffement sera de 2,50° d’ici 2100 si les engagements de la COP27 sont tenus ; il sera de 3,2° si l’inaction actuelle se poursuit. L’année écoulée nous donne une pâle illustration des bouleversements climatiques à attendre. La COP15 sur la biodiversité rappelle la disparition rapide des espèces, la désertification, la déforestation et la stérilisation des terres arables en cours. Nous risquons de mourir de faim avant de mourir de chaud. « Nous le savons, mais nous ne le croyons pas »[5].

Nous savons que, pour continuer de produire efficacement, il nous faut que la rationalité économique cède le pas à une rationalité écologique qui tienne compte de l’interdépendance entre l’innovation technologique, la transformation sociale et le changement culturel ; rationalité qui se caractérise au niveau des politiques par dématérialisation, mutualisation, économie collaborative, utiliser plutôt que posséder et au niveau individuel par coopération, solidarité, partage, autodiscipline, convivialité créatrice. En somme, retrouver, près de 50 ans après, Louis-Joseph Lebret et l’encyclique Populorum Progressio[6].

Yves Berthelot, économiste français, ancien fonctionnaire des Nations unies et président du Comité français pour la solidarité internationale et du Centre International Développement et Civilisations

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[1] Même si la Russie en avait brandi la menace depuis deux mois et si les services de renseignement en avaient observé les préparatifs.

[2] Article 2.4 Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État.

[3] Respectivement : voix contre 5, 24,5 ; voix pour 150, 93,143 ; abstentions 35, 58,35.

[4] Alfred Sauvy, in « Trois mondes, une planète », Le Monde, 14 août 1952.

[5] Formule de Bernard Perret – auteur de Quand l’avenir nous échappe, Desclée de Brouwer, 2020 – lors d’une conférence à Saint Jacques du Haut-Pas, Paris 2022. La fin du paragraphe s’en inspire.

[6] Encyclique de Paul VI promulguée en 1967. Cette encyclique est largement inspirée des travaux de dominicain Louis-Joseph Lebret,1897-1966, créateur d’Économie et Humanisme, avocat d’une économie humaine et du développement vu comme le passage d’une situation moins humaine à une situation plus humaine, auteur de très nombreux écrits dont Principes et perspectives d’une économie humaine, Les éditions ouvrières, Paris 1944 et Suicide ou survie de l’Occident, Les Éditions ouvrières, Paris, 1958.

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