Chrétiens… et démocrates ?

L’Institut Catholique de Paris vient de proposer de travailler sur la « Responsabilité de la théologie dans l’espace public ». Deux des théologiens américains les plus connus ont enrichi ces débats : Stanley Hauerwas qui rappelle les enjeux existentiels de la théologie, et son disciple William Cavanaugh dont la thèse, écrite à son retour du Chili de Pinochet, Torture et Eucharistie, la théologie politique et le corps du Christ avait pointé l’accueil de tortionnaires dans la communauté catholique à Santiago. Une thèse de théologie qui fut un événement politique !

Ces deux Américains ont dit combien, en France, nous nous démarquions par notre capacité à débattre de ce lien entre théologie et politique, et ils ont cité l’importance pour eux tant des penseurs personnalistes que de Henri de Lubac ou Yves Congar. Le dernier livre de Cavanaugh paru en français Idolâtrie et liberté, le défi de l’Eglise au XXIe siècle (Salvator) définit l’Eglise comme un corps social unique qui porte la politique de Dieu afin de transformer le monde, une minorité créatrice. Il déconstruit aussi la possibilité pour un chrétien d’adhérer aux populismes grandissants…

De manière intéressante l’ICP avait proposé à de jeunes philosophes français dont Foucauld Giuliani, entendu lors de notre dernière Rencontre, de venir interpeller leurs hôtes : complicité évidente entre ces philosophes et ces théologiens malgré les différences de génération et de culture. Il est des théologiens américains et des philosophes français qui prennent le Pape François au mot et nous invitent à utiliser la force subversive de l’Evangile. Giuliani vient de nous proposer dans La vie dessaisie, la foi comme abandon plutôt que maitrise (Desclée de Brouwer) une éthique de l’abandon de soi au service de la destination universelle des biens ; parole adressée à l’individu comme à la communauté. La traduction politique de cette éthique est portée par le collectif Anastasis dont le Manifeste précise que ce mot grec signifie et résurrection et insurrection. Et très concrètement Anastasis a publié début avril « Nous chrétiens nous opposons à la réélection de E. Macron » ; et au lancement de la NUPES ce mode de pilotage de la gauche sembla accepté.

Mais ces élections nous rappellent d’abord l’importance de la sensibilité conservatrice chez les croyants. Et plus précisément, cette année, le nombre de chrétiens qui ont soutenu E. Zemmour ou M. Le Pen ; les pourcentages cités peuvent être mis en cause, mais la réalité de cet attrait des thèses conservatrices, nationalistes, au nom de la défense de racines chrétiennes, est incontestable.

Face à ces deux attitudes il est tentant de rappeler avec J. Ellul la distance à respecter entre le spirituel et le politique, mais le délitement des partis conventionnels, à droite comme à gauche, comparable à la disparition de la démocratie chrétienne au siècle dernier, oblige à refonder les instruments politiques. La discrétion politique de nos évêques ces derniers mois manifeste leur crainte d’un déchirement entre croyants, mais cette posture est un peu courte : il va falloir assumer que la laïcité n’est pas un appel à la censure, et de fait une expression spirituelle a retrouvé dans la presse une place perdue. Chrétiens en France nous devons pouvoir parler de nos visions, mais aussi de nos propositions de méthode pour tenter de dépasser les crispations violentes et trouver les voies de certains consensus. La démocratie a peut-être des problèmes, mais elle reste la solution. Dans l’édito de la Lettre d’avril, Dominique Quinio nous invitait à nous engager au service de la démocratie, Michel Cool appelait à une république du dialogue, et Pierre de Charentenay parlait de spiritualité chrétienne du dialogue politique.

Dans la confusion politique que nous observons, notre première responsabilité est de prendre au sérieux cet appel à la mobilisation au service de la démocratie ; la prendre au sérieux c’est accepter les tensions qui la caractérisent, et, en chrétien, respecter l’adversaire et travailler sur ce que sa position, notamment quand elle est nourrie par une foi partagée, nous dit du bien commun.

Philippe Segretain, administrateur des Semaines sociales de France

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