C’est à pleine voix que les quelque 230 membres du Chemin synodal allemand et leurs invités ont chanté « bewahre uns, Gott, behüte uns, Gott[1] » sous les voûtes de la cathédrale de Frankfort qui les réunissait ce 11 mars pour la dernière fois à l’issue d’un long chemin commencé trois ans plus tôt dans cette même cathédrale. Comme il y a trois ans, ils avaient été accueillis par des protestataires inquiets brandissant des pancartes à l’encontre de cet « Irrweg » (chemin de perdition) ne pouvant que conduire au schisme. Mais qu’en a-t-il été exactement ?
D’abord le Chemin synodal a tenu ses promesses, ce qui n’avait rien d’évident à priori, de conduire à des décisions effectives de changements à l’échelle de l’Eglise en Allemagne, afin d’apporter des réponses concrètes aux défaillances structurelles diagnostiquées très tôt comme étant à la source des abus sexuels commis par des clercs. Pour s’en tenir aux décisions prises lors de cette dernière session du Chemin synodal, la moisson des résolutions concrètes est ample. Elles touchent aussi bien la prévention des abus commis par les clercs, que le renforcement et l’ouverture du célibat des prêtres, la protection des femmes et adultes vulnérables, l’accueil dans les institutions ecclésiales de la variété des orientations sexuelles, la normalisation des rituels de bénédiction des unions homosexuelles ou touchant des couples divorcés remariés, la normalisation des conditions de participation à la prédication de l’évangile par les laïcs, hommes et femmes, les conditions d’ouverture dans l’église universelle de la question de l’accès des femmes aux sacrements ministériels.
Un seul domaine important n’a pu aboutir: la résolution consacrée à la gouvernance synodale des organes pastoraux diocésains et paroissiaux ouverts à la participation des laïcs. Elle devra être retravaillée par un « Comité synodal provisoire » qui doit au moins jusqu’en 2026 veiller à l’application des résolutions, évaluer l’impact réel des novations et ouvrir la voie à un « Conseil synodal permanent de l’église allemande» tenant compte des conclusions du synode mondial sur la synodalité, encore à venir .
Contrairement à ce que laissait entendre un titre malheureux du journal La Croix dans son édition du 9 mars[2], rien de tout cela n’a été acquis au prix d’une mise en cause du doit canon ni du droit ecclésial en général. Le Chemin synodal n’a pas flirté avec le schisme. C’était l’engagement pris au départ. Et si l’ensemble offre une image forte de changement, c’est d’abord parce que beaucoup des novations consistent dans des généralisations de pratiques conduites de façon exceptionnelle par tel ou tel diocèse. C’est aussi, comme dans le cas de la perspective d’un découplage entre prêtrise et célibat ou d’une ouverture du sacrement de l’ordre à des femmes ou de la reconnaissance des diverses formes d’orientation sexuelle, les textes proposés développent pour l’essentiel une argumentation théologique destinée à appuyer une demande au Pape de considérer l’opportunité d’une réévaluation de la doctrine du magistère .
Le Chemin synodal allemand était à bien des égards un processus sui generis, répondant à une crise de confiance exceptionnelle chez notre sœur d’Outre-Rhin. La rencontre synodale européenne de Prague a illustré les contrastes qui opposent même en Europe les versions nationales du catholicisme. Pourtant ce qui fut réalisé à Frankfort comporte une dimension universelle. Des représentants des divers continents venus d’Asie (Philippine), d’Afrique (Tanzanie), du Pacifique (Australie) et d’Amérique latine assistaient pour la première fois à cette cinquième et dernière rencontre. Il était frappant d’entendre, au-delà de différences évidentes de cultures et de tradition , le constat très général d’une dénonciation du cléricalisme, c’est-à-dire de la confusion entre la spécificité sacramentelle des missions confiées à certains membres de la communauté des baptisés et l’absolutisation de leurs pouvoirs d’autorité sur la communauté . C’est bien cela qu’avec justesse le Pape François a identifié dès 2018 et c’est à cela que le processus du Chemin synodal allemand apporte des réponses précises et novatrices. Par leur qualité délibérative et théologique, mais aussi par leurs limites mêmes, elles laissent pressentir la nécessité d’un nouveau Concile.
(c) photo Synodaler Weg
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[1] « Garde-nous Seigneur, protège-nous Seigneur ».
[2] « En pleine révolution, l’église d’Allemagne risque un schisme silencieux », 9 mars 2023.
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Jérôme Vignon, président d’honneur des Semaines sociales de France et observateur français au Chemin synodal
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