Besoin de long terme

Dans “un monde qui change”, les incertitudes et les peurs conduisent trop souvent à privilégier le court terme alors qu’une approche de long terme guiderait mieux les décisions des autorités publiques, des entreprises et des citoyens.

Les incertitudes de toute nature ne sont pas une nouveauté et les efforts faits pour les surmonter ont, au fil des temps, été sources de progrès. Aujourd’hui, l’impression que “le monde change” nous prive de repères et rend les incertitudes plus angoissantes.

Le monde change, en effet. Au plan international, le système né de la seconde Guerre mondiale, qui visait à résoudre par la concertation, la négociation et la coopération les problèmes qui se posaient [1], vacille, aujourd’hui, du fait du non respect des Conventions internationales et sous le coup de décisions unilatérales [2]. Simultanément la Chine dispute aux Etats-Unis le leadership mondial, le centre de gravité du monde économique passe de l’Atlantique au Pacifique, l’Europe s’affaiblit avec la montée des nationalismes. Enfin, au plan mondial, la prise de conscience du réchauffement de notre planète et de la détérioration accélérée de la biodiversité n’a entraîné que peu de changements de politique et de comportement,

Parmi les incertitudes créées par les nouvelles technologies, les plus prégnantes sont celles qui découlent de la numérisation et des progrès de l’intelligence artificielle. À propos des emplois, de nombreuses études convergentes prédisent que la robotisation en créera plus qu’elle n’en détruira, mais que « les emplois créés [seront] souvent de plus mauvaise qualité que ceux qui [auront] été détruits » [3]. Plus nouvelle est l’incertitude liée à la rapidité avec laquelle se développent de nouvelles applications, ce qui rendra difficile d’adapter suffisamment vite les lois et les règles pour en limiter les risques. Plus imprévisibles sont les conséquences des interactions qui vont se développer entre le cerveau et les machines et les réactions qu’elles susciteront. Plus déroutante est la perte de confiance qui résulte déjà des “fake news” propagées par les réseaux sociaux, qui font douter qu’il y ait quelque vérité que ce soit, et des intrusions des hackers qui amènent à ne communiquer qu’avec des partenaires sûrs.

Face à l’ensemble de ces incertitudes, qui rendent difficile de construire des plans et des scénarios, la tentation est forte d’attendre et de se limiter à des choix de court terme. Les politiques le font quand ils prennent leurs décisions en fonction des prochaines élections. Les entreprises le font quand leurs dirigeants ont pour principal objectif de dégager trimestriellement des profits pour les actionnaires alors même que celles qui ont une approche de long terme croissent plus vite, ont de meilleures performances financières, se relèvent plus vite des crises et créent plus d’emplois. Chacun le fait quand il préfère garder ses habitudes même s’il les sait contraires à ses responsabilités vis-à-vis des autres et de la planète.

L’incertitude et la rapidité des changements invitent les Etats, les entreprises et les citoyens à développer leurs capacités d’adaptation et, pour faire leurs choix, à se doter d’une vision d’un monde durable qui se construise pour tous et par tous et permette à chacun de vivre une vie digne.

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Par Yves Berthelot, rédacteur des SSF

—[1] Le préambule de la Charte des Nations Unies donne une haute idée des objectifs poursuivis[2] À titre d’exemple :parmi les conventions non respectées qui traitent de problèmes actuels, celle relative au Statut des réfugiés et celle relative aux droits des travailleurs migrants et de leurs familles ; et parmi les décisions unilatérales celles des Etats-Unis quittant l’UNESCO, l’accord de Paris sur le climat, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) ; la Chine s’appropriant les eaux et îlots de la Mer de Chine au détriment des autres pays riverains ; la Russie annexant la Crimée et soutenant les séparatistes dans les Donbass.[3] Voir la tribune de Patrick Artus dans Atlantico

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