Comment nous faire entendre ?

Le 19 mars prochain seront connues les recommandations de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Or le débat public et les auditions en cours à l’Assemblée nationale, autour du projet de légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, montrent d’ores et déjà combien la parole des chrétiens ne pèse plus guère en ces domaines. Tout se passe comme si, sous l’effet toujours croissant de la sécularisation, l’Eglise avait perdu irrémédiablement la bataille de l’attention. Les révélations sur les abus sexuels commis en son sein accentuent encore cette disqualification ; et de même les divisions devenues plus criantes, en France et ailleurs (on a parfois parlé d’un « schisme invisible »), entre les catholiques « identitaires » et conciliaires.

Ainsi, quand la parole officielle de l’Eglise n’est plus guère entendue à l’extérieur, celle des médias catholiques tendrait à s’y substituer. Pour un peu, ce sont le journal La Croix, la radio RCF, ou la chaîne de télé KTO qui s’expriment désormais en son nom auprès du grand public. Et ce sont les blogueurs ou les influenceurs catholiques – ces nouveaux médiateurs de la foi – qui se substituent aux prédicateurs, aux théologiens, voire aux évêques.

C’est de toutes ces évolutions sur la scène médiatique qu’il a été question à Lourdes, du 25 au 27 janvier derniers, pour les 26èmes Journées Saint-François-de-Sales (François est le saint patron des journalistes). Plus de deux cents professionnels de l’information s’y sont retrouvés pour échanger sur leurs pratiques : patrons de presse, rédacteurs, auteurs, éditeurs, blogueurs, communicants. Jamais autant d’étrangers ne s’étaient déplacés à ce rendez-vous de leurs confrères français : Italiens, Américains, Africains, soit 25 nationalités représentées. « Comment se faire entendre », en tant que chrétiens, quand l’Eglise n’est plus guère entendue ? Tel fut le thème des réflexions communes. Si aucune recette toute faite ne s’est imposée lors de ces journées, plusieurs pistes n’en ont pas moins été dégagées.

« Avant tout, ne nous prenons ni pour des Don Quichotte, ni pour le poussin Calimero, ni pour Cyrano de Bergerac »… Le directeur de la rédaction de La Croix, Jérôme Chapuis, a tiré la leçon des vaines mobilisations contre le mariage pour tous, il y a juste dix ans. Quichotte se bat inutilement contre des moulins à vent, Calimero s’épuise à geindre. Quant à Cyrano, il s’illusionne en pensant que le panache du combat va en rendre la défaite plus douce. D’expérience, ce sont là trois impasses.

Alors que faire ? Comment risquer une parole chrétienne dans un monde qui ne l’est plus ? Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, a invité les professionnels de l’information présents à Lourdes à nourrir, avant tout, leur propre vie intérieure. Venu spécialement pour eux de Rome, le bras droit du pape a insisté sur ce point lors d’une homélie à la basilique du Rosaire : « souvenez-vous toujours de votre rencontre avec le Christ. On ne peut témoigner avec efficacité que de ce qu’on a soi-même vécu ».

Pour le reste, il importe aux journalistes catholiques de se montrer modestes et opiniâtres car, comme le dit volontiers le pape François, « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ». Servir la vérité en vérifiant soigneusement les faits que l’on relate. Croire en la vertu de la « slow truth », selon l’expression d’un confrère américain : cette vérité lente, jamais spectaculaire, qui finit souvent par s’imposer. Et puis jouer la proximité avec les publics, dans les enquêtes et les reportages; s’intéresser aux personnes à mettre en avant, plutôt qu’aux idées abstraites ; écouter et favoriser le témoignage. Bref, il s’agit de « faire conversation » avec le monde (l’expression était de Paul VI), en évitant de lui parler en surplomb et de lui inculquer à toute force une vérité révélée.

Quand l’équation économique de la presse catholique se voit fragilisée, recourir également aux nouveaux outils numériques. Ainsi importe-t-il d’accorder de l’espace à ces nouveaux communicants chrétiens que sont les blogueurs, les « podcasteurs », les influenceurs : tous ces « missionnaires du numérique », selon l’expression d’un jeune curé de paroisse présent à Lourdes et que suivent de nombreux « followers » sur le réseau Tiktok.

Ne jamais perdre de vue, dans ces affaires, que les frontières de l’Eglise sont constamment franchies et outrepassées par la parole divine. Car Dieu s’exprime « où il veut », et souvent bien au-delà des appartenances chrétiennes. Les participants à ces trois journées auprès de la grotte de la petite Bernadette en auront pris la mesure en écoutant, dans l’hémicycle occupé plusieurs fois par an par les évêques de France, le fort peu épiscopal… Gad Elmaleh. Issu d’une famille juive, l’humoriste bien connu a témoigné avec amusement, mais non sans profondeur, de son chemin de foi – assez inattendu – dans la lumière de la Vierge de Lourdes. Il a invité les professionnels de l’information présents à s’afficher explicitement en tant que chrétiens dans le débat public : « trop de catholiques, et parmi eux trop des journalistes, ne s’assument pas comme tels. Soyez forts et n’ayez pas peur ».

Pierre-Yves Le Priol, administrateur des SSF

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