Immigration, ce qui est juste

« Éprouver l’injustice, est-ce nécessaire pour savoir ce qui est juste ?». Les lycéens qui passaient le bac en section S ont eu à disserter sur ce sujet. Auront-ils puisé dans l’actualité, trop généreuse, de quoi nourrir leur réflexion ? Injuste, le sort de ces migrants recueillis sur le bateau humanitaire l’Aquarius, rejetés par les autorités politiques italiennes et maltaises, en dépit des lois maritimes, et enfin débarqués à Valence, parce que le nouveau premier ministre espagnol, socialiste, s’est immédiatement proposé de les accueillir. Hommes, femmes, enfants, de différentes nationalités, ils rêvaient de l’Europe et attendent désormais de savoir si le droit d’asile leur sera accordé, en Espagne ou en France qui, avec quelque retard, a accepté d’examiner leurs requêtes.

Injustice que ces 68,5 millions de personnes dans le monde réfugiées et « déplacées » en 2017, douloureux record souligné par le rapport annuel du Haut commissariat des Nations Unis pour les réfugiés (HCR). Ils sont déplacés dans leur propre pays, exilés dans des pays voisins, pour cause de guerre, de violences ou de pauvreté. Contrairement à l’impression que nous en avons, ils sont bien plus nombreux accueillis dans des pays en développement qu’en Europe. Néanmoins, la croissance du nombre de réfugiés rappelle que la crise migratoire n’est pas pour l’Europe circonstancielle mais durable. Le manifeste proposé par les Semaines sociales à l’issue de la rencontre de novembre dernier le rappelait avec acuité. Surtout si on s’intéresse à la situation des demandeurs d’asile, mais aussi à celle des migrants dits « économiques » ou climatiques. Le rapporteur de l’ONU estime nécessaire, pour faire face à cet accroissement continu du nombre des déplacés, « une approche nouvelle et plus globale ». « Globale » : puisse l’Union européenne l’entendre ! L’Europe a montré en ces jours un bien triste visage : par l’attitude italienne certes, mais aussi par les tergiversations ou les silences des autres.

Mais voir l’injustice, la dénoncer, l’éprouver dans sa propre chair, ne signifie pas qu’il soit simple de trouver la juste réponse, encore moins la réponse juste. Les gouvernements se débattent avec des opinions publiques réticentes, la montée de courants populistes et des enjeux de sécurité face au terrorisme. La loi « asile et immigration » du gouvernement français qui voudrait combiner droit d’asile effectif et intégration réussie, souligne les vives tensions entre ceux qui la trouvent trop répressive et ceux qui jugent qu’elle ne l’est pas assez.

Une enquête récente menée pour des associations et services d’Eglise travaillant avec les populations de migrants (la Croix du 7 juin) révèle l’ambivalence des catholiques, malgré les appels incessants du pape François. Plus accueillants, plus engagés dans la solidarité active ou financière, une bonne part d’entre eux se montre inquiète et craintive, à la fois pour eux-mêmes mais aussi pour les migrants qui ne seraient pas accueillis dignement, dans une France prospère mais traversée de graves inégalités sociales et territoriales.

La réponse de l’Union européenne ne va donc pas de soi. Les pays plus récemment intégrés et marqués par leur histoire à l’est du continent, se montrent souvent hostiles à une hospitalité plus large ; les Etats en première ligne des arrivées, l’Italie par exemple, ne se sentent pas soutenus. Il faudra plus que des bonnes paroles et des réponses au cas par cas, comme dans l’épisode de l’Aquarius, pour construire une véritable politique migratoire, respectueuse et soutenable.

Si l’Europe veut occuper une place dans la géographie du monde, si elle veut porter haut les valeurs de solidarité et la défense des droits humains dont elle se targue, il lui faut agir. Sans oublier que sa responsabilité ne joue pas seulement dans l’accueil des migrants, mais se mesure également en amont, dans les pays en guerre ou ravagés par la pauvreté, quand elle fournit des armes, quand elle ne travaille pas au développement des Etats en difficultés, quand elle piétine sur les engagements en matière de climat, quand son activité économique accroît les inégalités… Ce sont tous ces leviers que l’Union, véritablement unie pour mériter son nom, doit actionner. La « maîtrise » de l’immigration revendiquée ne doit pas signifier le rejet, le repli et la fermeture. Les attitudes les plus frileuses, qui semblent minimiser les risques et protéger les populations, ne sont-elles pas, au contraire, les plus dangereuses, parce qu’elles divisent et enferment ?

Dominique Quinio

Sur la question migratoire, vous pouvez aussi (ré)écouter l’intervention poignante de Véronique Fayet lors de notre session « Quelle Europe voulons-nous ? »

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