Dossier Europe

Le centenaire – Allocution de Mgr Jean-Pierre RICARD

Allocution donnée au cours de la session 2004 des Semaines Sociales de France, « L’Europe, une société à inventer »

Mgr JEAN-PIERRE RICARD, archevêque de Bordeaux, évêque de Bazas, président de la Conférence des Evêques de France

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous dire ma joie et tout le plaisir que j’ai éprouvé à participer à cette semaine sociale, ici, à Lille. J’ai particulièrement apprécié la qualité de la réflexion, la richesse des échanges et des rencontres. Comme chacun d’entre-vous, j’en ai fait mon miel. Ce qui ne veut pas dire que je me suis contenté de butiner de ci de là ! J’en repars dynamisé, soutenu par ce souffle, cette passion de poursuivre l’édification de l’Union Européenne que j’ai ressenti au cours de cette rencontre. Avouons que nos peuples et nos Eglises ont besoin, aujourd’hui plus que jamais, de ce souffle et de cette passion.

Comme Président de la Conférence des Evêques de France, je voudrais maintenant dire la gratitude et les encouragements des évêques de France aux Semaines Sociales de France, à leur Président et à leurs animateurs.

La gratitude, tout d’abord, pour tout ce que, durant ces cent années d’existence, les Semaines Sociales ont apporté à l’Eglise, à la société française et même au-delà, comme enrichissement à la réflexion, conscientisation et force de propositions concrètes, dans les domaines de la vie sociale, économique, politique, culturelle et des relations internationales.

A la suite du Pape Jean-Paul II qui nous a fait la joie de nous adresser un message fort et de mandater comme envoyé spécial le Cardinal Roger Etchegaray, que je salue très chaleureusement, je voudrais aussi exprimer l’appui et les encouragements de la Conférence épiscopale française aux Semaines Sociales de France. La Conférence a exprimé son soutien quand celles-ci ont redémarré, il y a quelques années. Elle le réaffirme aujourd’hui clairement pour la poursuite de leur mission. La présence de plus de 26 évêques français à cette semaine sociale en est une significative expression.

Si j’avais à expliciter les raisons de ce soutien, j’en soulignerais quatre qui sont comme autant d’apports que les Semaines Sociales ont rendu et peuvent rendre à l’Eglise et à la société :

1. A une époque où certains dans la société voudraient cantonner la religion au seul domaine personnel des convictions intimes et où d’autres dans l’Eglise pourraient ne s’intéresser qu’à l’intériorité ou à la seule animation des communautés ecclésiales, il est important de rappeler que le salut de Dieu offert à l’homme s’adresse à lui dans toutes les dimensions de son être, tant dans sa dimension personnelle que dans sa dimension sociale. La Bonne Nouvelle de l’Evangile concerne aussi notre vie ensemble, notre vie en société. Une réflexion sur l’humanisation de notre vie sociale et de notre vie politique n’est donc pas matière à option pour les chrétiens. D’ailleurs, toute l’élaboration d’une doctrine sociale dans l’Eglise en est sur ce point une claire illustration. Merci aux Semaines Sociales de nous le rappeler.

2. Dans la société comme dans l’Eglise, nous donnons aujourd’hui une grande place aux affects, aux sentiments, aux émotions. On ne peut rejeter cela sans discernement. Mais il est important de proposer aussi une démarche réflexive qui fasse appel à l’intelligence et à l’observation du réel. La pédagogie des Semaines Sociales qui allie analyse des situations, questionnement critique, très souvent interdisciplinaire, et élaboration de points de repère pour la pensée et pour l’action me paraît particulièrement féconde. Il est important qu’il y ait aujourd’hui, dans notre Eglise, ce type de proposition.

3. Nous avons besoin de nos jours comme en 1904 de prises de parole et d’initiatives de laïcs, qui vivent pleinement leur vocation baptismale et prennent leurs responsabilités. Les Semaines Sociales ont toujours été une institution voulue par des laïcs et gérée par des laïcs. Liberté d’initiative et de parole qui n’a pas empêché que s’établisse au cours du siècle écoulé une confiante collaboration avec la hiérarchie ecclésiale. Citons simplement tous les messages que le Saint-Siège a adressé aux Semaines Sociales et toutes les interventions d’évêques sollicités dans le cadre de ces Semaines. Des forums comme ceux des Semaines Sociales permettent l’expression et la maturation d’une opinion publique chrétienne. Cela me paraît particulièrement important aujourd’hui.

4. Nous risquons toujours en France de nous enfermer sur nos problèmes hexagonaux. Nous avons besoin de décentrement, de décloisonnement, d’élargissement des horizons, de solidarités hors frontières. Les Semaines Sociales ont porté ce souci. Qu’elles continuent à le porter, tout particulièrement dans cette ouverture à l’Europe et au monde. Nous avons vécu un événement exceptionnel cette année avec la présence de plus de 1.000 frères et sœurs venus des autres pays d’Europe. Au nom de l’Eglise qui est en France, je suis heureux de les saluer ce matin et de les remercier de leur présence. Je dois vous avouer que j’ai pris goût à cette présence et je me suis posé la question suivante : faut-il que cette présence reste exceptionnelle ou bien n’est-il pas hautement souhaitable que cette dimension européenne de la réflexion et des échanges soit une dimension habituelle des Semaines Sociales ? L’Evangile nous pousse à nous faire le prochain de tout homme et le champ de cette exigence est universel. Il n’est donc pas question de nous enfermer dans des frontières, fussent-elles européennes. Il faut que notre regard et notre cœur restent ouverts sur le monde entier. Notre responsabilité d’Européens vis à vis des pays du Sud reste entière et plus brûlante que jamais. Un voyage dans l’Afrique des Grands Lacs, au mois de juillet, à l’invitation des Conférences épiscopales du Congo, dont je salue le Président, Mgr Laurent Monsengwo, archevêque de Kisangani, du Burundi et du Rwanda, n’a fait que me renforcer dans cette conviction. La question que ces pays nous posent est brûlante : « Europe, qu’as-tu fait de ton frère ? ». Merci aux Semaines Sociales de nous aider à ne pas fermer les yeux, nos oreilles et nos esprits à cette redoutable interrogation.

Bref, en conclusion, je dirais que si les Semaines Sociales n’existaient pas, il faudrait les inventer. Mais, grâce à Dieu, elles existent. Alors un grand merci à tous leurs responsables, à tous ceux qui y travaillent. Courage. N’ayez pas peur d’avancer en eau profonde et de gagner le large. Bon vent et bonne route. Merci.

Jean-Pierre RICARD,

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