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Conclusion de la Session 2003

Par Michel Camdessus

Conclusion de la session 2003 des Semaines Sociales de France, »L’argent »

Michel Camdessus, Président des Semaines Sociales de France

Eminence, Chers Amis,

Permettez-moi, en guise de conclusion, de souligner quelques points saillants de nos échanges.

Grâce aux travaux des sociologues qui ont ouvert la session, nous savons mieux ce que nous sommes, hommes et femmes de France, en ce début du XXIe siècle, face à l’argent : largement décomplexés par rapport à son usage, au service bien sûr de la satisfaction des besoins mais aussi de la qualité de la vie. Soit. Mais plus l’argent envahit notre quotidien, plus grandit notre malaise : existe-t-il encore une place pour le don, pour l’échange gratuit ou tout sera-t-il peu à peu transformé en marchandises ?

Et puis ils nous ont montré cela aussi : nous bricolons nos règles personnelles du bon usage de l’argent, avec une forte tendance à justifier nos pratiques. Les Français, qui se déclarent si généreux dans les sondages, ne le sont finalement pas tant que cela dans la pratique…

Nous avons vu combien il était facile d’être d’accord sur les grandes idées et les principes pour guider nos rapports à l’argent. Mais en revanche, nous avons découvert, à travers les conférences, débats et carrefours, combien étaient nombreuses nos difficultés à les mettre en pratique chaque jour dans nos vies. Et c’est bien là que l’on nous attend. Il faut que finissent ces grandes déclarations sur la supposée générosité des Français car, dans les faits, tout cela reste bien modeste. Et que cessent les fausses excuses : ainsi celle sur l’argent de la solidarité nationale qui serait devenue trop anonyme. Peut-être, les prélèvements collectifs se font-ils piéger par leur caractère « obligatoire ». Notre responsabilité de citoyens est de redonner un sens à ce qui est ainsi mis en commun.

Il est réconfortant d’entendre qu’il n’y a de fatalité de prise de pouvoir d’un Leviathan financier qui régnerait pour mille ans, en un système irrésistiblement réducteur de tout en rien d’autre que lui-même. L’argent n’a pas de majuscule ; il y a toujours quelque chose à faire pour le mettre à sa place. Nous voyons bien cela : les politiques ont plus d’intégrité et de marge de manœuvre qu’on ne le croit ; les chefs d’entreprises responsables n’abdiquent pas devant leurs directions financières ; dans l’extrême complexité des arbitrages quotidiens qu’ils rendent, le souci de l’harmonie très fragile de la communauté humaine qu’ils forment avec les salariés, les clients, les actionnaires et tout leur environnement, passe avant la maximisation immédiate du profit, quelles que soient les préférences ou les contraintes à court terme des analystes financiers. Cette liberté par rapport à l’argent est possible, mais elle a un prix : un effort de discernement quotidien, quels que soient la nature et le niveau de la responsabilité que nous exerçons. Et plus encore, chaque jour, un chemin de conversion -allons, lâchons le mot- de conversion à la société, dans nos pratiques du « partage » dans la famille, dans l’entreprise, comme consommateurs et épargnants et comme citoyens.

Je ne reviens pas sur nos réponses personnelles aux deux questions centrales qui, ces trois jours, ont fait retentir dans nos cœurs la vieille question à Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Et celle implicite dans le mot de Pane à Thimothie : « L’Amour de l’argent est la source de tous nos maux ? ». D’où les questions : Qu’est-ce que j’aime ? Qui est-ce que j’aime ? Mais il y a des questions plus concrètes, si je peux ainsi m’exprimer.

Nous avons beaucoup parlé des rémunérations importantes des dirigeants qu’il est temps évidemment de soumettre à quelque discipline, et peut-être pas assez de ceux qui, en bas de l’échelle sociale, souffrent de salaires trop faibles. Lorsque le temps partiel est imposé et que la rémunération horaire est proche du SMIC, les travailleurs pauvres ne peuvent subvenir à la satisfaction des besoins de leur famille, ce qui est, depuis longtemps déjà, en contradiction avec la doctrine sociale de l’Eglise.

C’est là qu’il était important que la parole des sans-argent et des sans-voix soit entendue. Nos amis d’ADT-Quart Monde et de Solidarité Nouvelle contre le Chômage nous ont permis de l’entendre. Cette parole nous appelle à cheminer avec eux dans la durée, à nous écouter mutuellement, à établir avec eux un partenariat dans tout le sens riche de ce terme. C’est ici que, comme le demande le Saint-Père, l’imagination de la charité doit se déployer dans des formes nouvelles d’engagements, comme ces associations nous en montrent le chemin, entre les grandes formes collectives et publiques de solidarité et l’émiettement des formes individuelles de charité sans relation durable.

Répondre à la « nouvelle donne » de l’économie mondiale que la mondialisation financière suscite, nous invite évidemment une fois de plus à rechercher, dans l’enseignement social chrétien, des « choses anciennes et des choses nouvelles », pour nous aider à imaginer de nouvelles formes de coopération, le partenariat par exemple, pour en faire une pratique nouvelle et non un instrument rhétorique de plus. Si nous en respectons la logique, il devrait nous faire faire quelques pas de plus vers un monde plus fraternel.

Je pense aussi à la réhabilitation du don, que nous avons retrouvée à diverses reprises au cours de ces trois jours, comme la seule porte de sortie, si nous voulons faire face à toutes les asymétries du monde, pour parler en économiste, simplement en hommes raisonnables. Je pense encore à la nécessité de faire prévaloir le respect de la parole donnée dans un monde où nous sommes si prompts à prendre des engagements et à les oublier sitôt éteints les lampions des grandes conférences internationales. Et enfin, réagir à ces effets de distorsions dans le pouvoir économique que la financiarisation entraîne en imaginant les formules qui permettraient de rétablir un meilleur partage et un meilleur usage de la propriété et de ses revenus.

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