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Actualité économique et sociale : le regard d’un journaliste chrétien

Conférence de Dominique Seux

Le directeur délégué de la rédaction des Echos et éditorialiste sur France Inter nous a livré sa vision à l’issue de notre dernière Assemblée générale

Dominique Seux, journaliste économique bien connu, était invité à s’exprimer après l’assemblée générale des Semaines Sociales, le jeudi 15 juin dernier, dans une salle du quartier Montparnasse à Paris. Agé de 61 ans, Dominique Seux est directeur délégué de la rédaction des Echos et éditorialiste sur France Inter. Le conférencier nous a expliqué les grandes tendances qui caractérisent à ses yeux l’actualité économico-sociale, tant en France que dans le monde, et essayé d’anticiper sur ce que sera demain.

Plusieurs convictions animent ce journaliste qui se réclame de la foi chrétienne (voir encadré), et d’abord celle que nous vivons dans un monde « de l’externalité ». Plus qu’autrefois, de multiples contraintes extérieures s’imposent à nos dirigeants et le système libéral a bien du mal à les gérer : montée des autocraties, crise climatique, raréfaction des ressources…. Nous assistons de ce fait à un retour des souverainetés mais aussi à la montée des extrêmes en politique et à une certaine culture (singulièrement en France) que Dominique Seux appelle le … « tout-doit-pétisme » : comme s’il s’agissait d’attiser toujours le feu dans la vaine perspective qu’il en sorte du bon. A ce sujet, notre conférencier déplore les effets délétères des réseaux sociaux, sur le mode du « saint Thomas inversé », selon son expression : « il ne s’agit plus de croire ce que l’on voit, mais de voir ce que l’on veut croire ».

Une autre de ses convictions est que « la terre n’est plus plate ». Les échanges commerciaux deviennent moins fluides, les protections se rétablissent aux frontières. Personne ne l’avait prévu mais nous nous engageons dans une sorte de « mondialisation inversée ». Depuis la pandémie, singulièrement, nous prenons garde à ne plus trop dépendre dans nos échanges de pays comme la Chine. Nous pratiquons le « derisking » : répartir les risques de dépendance à l’égard de l’étranger. L’Europe nous est fort utile en ce domaine. En dépit des Cassandre, « elle a gagné la bataille de l’unité, celle de l’euro, celle du Brexit ».

Dans ce contexte de démondialisation relative, nous n’en avons pas fini avec l’inflation apparue depuis la guerre en Ukraine. De l’avis de Dominique Seux (mais il admet que les journalistes se sont beaucoup trompés par le passé…), elle va s’installer durablement à un niveau de 3 à 4% : ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour la fluidité des échanges. Sur un tout autre sujet, le conférencier constate une évolution générale des mentalités quant au rapport au travail. Non, il n’est pas vrai que tout le monde est devenu malheureux dans son activité professionnelle mais les jeunes générations aspirent à une demande accrue de sens, d’autonomie, et elles manifestent une moindre loyauté à l’égard de l’entreprise.

Le directeur délégué des Echos constate, d’autre part, que la crise climatique devient un fait d’évidence pour tous : surtout depuis qu’elle se manifeste dans l’évolution même de notre météo, ce qui n’était pas encore le cas il y a cinq ou dix ans. Cette crise va s’imposer comme une thématique centrale dans nos économies. Pour autant, le débat ne se situe pas entre croissance économique et décroissance, « car il faut que certaines activités croissent mais que d’autres décroissent » (celles qui produisent trop de Co2). A cet égard, Dominique Seux se réjouit de constater un début de découplage entre croissance et émission de gaz à effet de serre. La crise climatique va néanmoins exiger de la constance dans l’effort. La difficulté est de nous résoudre à agir au niveau local alors que les principaux enjeux sont internationaux : « comment persuader les Européens de faire beaucoup plus pour l’environnement sans qu’ils en mesurent les effets tangibles pour eux-mêmes ? »

Examinant la situation nationale, l’éditorialiste constate que la France a abandonné trop longtemps son industrie, « et elle le paie cher ». Il se désole surtout de la dégradation de nos comptes publics et s’étonne de l’indifférence de l’opinion à ce sujet : « chez nous, les comptes ne comptent pas ! »  Selon lui, ce n’est pas seulement depuis la crise du Covid que nous pratiquons le « quoi qu’il en coûte », mais depuis près de 50 ans… A cet égard, ne conviendrait-il pas que l’aide de l’Etat cible mieux les personnes réellement pauvres, « au lieu d’arroser largement les classes modestes » ?  En matière d’immigration, Dominique Seux croit au devoir d’accueil de la France et constate l’utilité des travailleurs étrangers dans bien des secteurs de notre économie. Il n’en déplore pas moins que notre pays ne sache pas attirer les meilleurs candidats à l’exil, et surtout que nos gouvernants n’osent pas dire la vérité à la population : « les gens voient bien que le visage de notre société se transforme sous leurs yeux ».

L’éditorialiste se réjouit néanmoins de l’amélioration sensible de la situation en matière d’emploi. Après plusieurs décennies d’impuissance publique en ce domaine, il se dit même effaré de l’indifférence apparente de l’opinion française à ce sujet. Plus généralement, il déplore que les médias ignorent à ce point les bonnes nouvelles. Un exemple parmi bien d’autres : contre les prévisions les plus pessimistes, notre pays a réussi très vite à supprimer sa dépendance au gaz russe. « L’essentiel fonctionne plutôt bien chez nous, quoi qu’on en dise, même s’il existe des irritants dans bien des domaines : les services publics, l’état de l’hôpital, etc. »

Ainsi la France apparait-elle bien plus stressée que nécessaire et nos compatriotes se sentent-ils plus malheureux qu’ils ne convient. Pourquoi cette déprime nationale, qui constitue un point de fragilité propre à notre pays ? Parce que l’actualité du monde nous brinqueballe de crise en crise et constitue un puissant « ascenseur émotionnel » : crise financière, attentats, pandémie, Ukraine. Mais aussi parce que n’avons plus de « récit collectif » à partager : « nous ne savons plus trop bien ce qui nous rassemble ». D’où cette part d’incertitude pour l’avenir. La France parviendra-t-elle à éviter la tentation du populisme, comme y ont cédé les Etats-Unis (avec Trump), la Grande-Bretagne (avec le Brexit) ou l’Italie (avec Méloni) ? En serons-nous préservés, comme l’Allemagne ? Sommes-nous, à ce sujet, en avance ou en retard de phase ? Constatant que l’extrême-gauche ne cesse de « faire la courte échelle » à l’extrême-droite, Dominique Seux ne cache pas son inquiétude à ce sujet.

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