Jeunesse en temps post-covid : une fragilité qui dure

Il y a un an, en novembre 2020, le gouvernement allemand lance une campagne de prévention de la transmission Covid destinée aux jeunes, avec deux vidéos youtube intitulées « héros très ordinaires». Sur la première, un vieil homme se souvient : « C’était l’hiver 2020, tout le monde avait les yeux rivés sur nous. J’avais 22 ans, j’étais étudiant en génie mécanique à Chemnitz, lorsque la seconde vague est arrivée (…) Le destin du pays était soudain entre nos mains, nous avons rassemblé tout notre courage et fait ce que l’on attendait de nous, la seule chose à faire : rien ». Flashback sur le jeune homme qu’il était à 22 ans, avachi sur son canapé devant un écran, durant l’hiver 2020. «Paresseux comme des ratons laveurs, nous sommes restés nuit et jour sans bouger nos fesses de la maison et avons combattu la propagation du virus. Notre canapé était la ligne de front, la patience était notre arme. Nous sommes donc devenus des héros, en cet hiver 2020 de coronavirus ».

Nous sommes nombreux à avoir vu cette vidéo il y a un an, à en avoir bien ri et à avoir salué l’humour du service de communication du gouvernement allemand. Pourtant, un an après, cet humour plutôt noir fait rire jaune. Certains chiffres nous font en effet prendre conscience de la violence que cela a représenté de demander à toute une génération de ne rien faire, à un moment de la vie où pour se construire et devenir adulte il faut justement sortir de son cocon, de sa « zone de confort » comme ils le disent eux même, en découvrant de nouveaux lieux et de nouvelles personnes, en dépassant ses limites.

L’enquête Coviprev qui suit depuis un an et demi chaque mois la santé mentale des Français montre que le niveau d’anxiété et de dépression est très élevé chez les jeunes générations, et qu’il ne s’améliore pas depuis cet été, malgré la réouverture du pays et la reprise d’une vie sociale et professionnelle à peu près normale. Fin septembre 2021, on enregistrait 12% d’état anxieux chez les personnes âgées de plus de 65 ans, 18% chez les 50-64 ans, 33% chez les 35-49 ans, 43% chez les 25-34 ans et 36 % chez les 18-24 ans… Soit environ 4 jeunes de moins de 35 ans sur 10 qui sont dans un état d’anxiété sérieux (score >10 sur l’échelle HAD). La mesure des états dépressifs, avec la même enquête, montre elle aussi une santé mentale plus dégradée dans les jeunes générations que chez les plus âgés, après un an et demi d’épidémie : 19% d’état dépressif mesuré chez les moins de 35 ans contre 12% chez les plus de 65 ans.

Pendant seize mois, pour protéger les autres et en particulier les plus âgés, on a demandé aux jeunes de ne plus avoir de relations sociales, de suivre leurs études à partir de leur lit ou de leur canapé, et leurs stages ou petits boulots ont été mis à l’arrêt. Les moins favorisés en ont souffert financièrement et on a beaucoup parlé de l’appauvrissement des étudiants, auquel ont répondu en France des mesures gouvernementales (le repas à 1 euro) et de nombreuses initiatives associatives de solidarité. Depuis l’été 2021, la vie économique reprend et avec elle la restauration, le commerce, et les petits boulots des étudiants. On s’en réjouit. Malheureusement l’impact sur la santé mentale semble moins réversible, ou en tous cas moins vite. Cela fait longtemps qu’on sait que les liens sociaux sont nécessaires à la santé mentale, la crise du Covid nous en donne une magistrale étude de cas dont on se serait bien passé, avec un effet différencié selon l’âge et la situation sociale. Les politiques publiques l’ont pris en compte l’année dernière, en évitant les fermetures d’école et en rouvrant partiellement les universités début 2001, en créant une plateforme d’information sur la santé mentale et en facilitant l’accès à des consultations psychothérapeutiques. Même si c’est encore largement insuffisant par rapport aux besoins, on peut dire que la crise Covid a permis de mettre en lumière que la santé mentale est un axe essentiel de la santé et que cela nous concerne tous.

Aujourd’hui il faut espérer que les moins de 35 ans, peu touchés par le Covid mais largement touchés par cette épidémie d’angoisse, vont pouvoir reprendre confiance. Mais la crise est profonde car l’angoisse soulevée dans cette génération par cette crise sanitaire rejoint d’autres angoisses ou colères que porte cette génération, en premier lieu face au dérèglement climatique, mais aussi face à la dérégulation de la finance, et cette colère s’accompagnant d’une perte de confiance envers les politiques et les experts.

Peut-être faut-il considérer aujourd’hui que notre société a une dette envers sa jeunesse : nos plus jeunes ont accepté des contraintes disproportionnées par rapport aux risques auxquels ils étaient eux-mêmes confrontés. Ils l’ont fait avec générosité et solidarité pour protéger les plus âgés, mais ils en payent aujourd’hui le prix. Dans les mois à venir nous allons continuer à vivre avec le Covid, il semble indispensable de penser l’évolution de la prévention Covid de manière spécifique pour les jeunes, avec des contraintes proportionnelles aux risques qu’ils représentent pour eux-mêmes et leur entourage et en tenant compte des impacts délétères invisibles mais durables.

Annabel Desgrées du Loû, Directrice de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement

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