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La santé publique : citoyens, parlons-en !

Notes prises lors de la webconférence du 22 septembre 2021 entre Didier Sicard, ancien président du Comité Consultatif National d’Ethique et Luc Ginot, directeur de la Santé publique à l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France.

Durant la crise sanitaire, un brouhaha médiatique, médical et politique, a pu faire de la Santé publique un objet mal identifié. De fait, dit Didier Sicard, la santé publique en France est très abstraite, avec un éclatement des structures. L’ARS est remarquable en elle-même mais la fragmentation des instances décisionnelles embarrasse le citoyen qui ne sait plus à qui se fier.

Pourtant, la définition de la santé publique est très simple : c’est l’attention à la santé collective des citoyens. Elle prend en compte les déterminants sociaux environnementaux et fait attention à ce qu’une partie de la population ait plus accès à la prévention que d’autre.

Or, la traversée de la crise a transformé les pratiques. C’est la riche expérience de l’ARS Ile de France évoquée par Luc Ginot en trois points :

– Aller vers : des pratiques un peu disparues ont été réinventées : proposer le dépistage de rue, envoyer des équipes mobiles en centres d’hébergement auprès de migrants qui ne viendraient pas au centre de vaccination, mettre en place en bas des tours des quartiers populaires des centres de vaccination grâce à l’assurance maladie. La logique de sortir des murs de l’hôpital, du cabinet constitue une nouvelle pratique.

– L’adaptation des politiques publiques : les politiques d’hébergement se sont mises au service de la santé publique avec une démarche partagée par toutes les administrations, tous les intervenants. Le but est d’éviter la double peine : Covid et absence de logement.

– Les coalitions : les syndicats de salariés, les bailleurs sociaux, les acteurs sociaux, ont pris leur place dans la santé publique. Le développement de stratégies en direction de populations très précaires a pu se baser sur des logiques de coalition avec les acteurs de l’hébergement et les préfectures.

C’est à un renversement des pratiques que la crise a appelé. La santé publique est, par essence, une science et une pratique de la transformation sociale : de ce point de vue, les réussites repérées dans la crise sont bien liées à des processus de transformation.

Alors convient-il d’aller vers une nouvelle organisation en santé publique ?

Didier Sicard pense à un ministère de la santé confié pas uniquement aux mains des médecins, des fonctionnaires de la santé, mais qui travaillerait avec des sociologues, des ethnologues etc. La santé, n’est pas seulement un problème de médecine, surtout sur le plan collectif : elle a besoin d’une réflexion en profondeur en termes de justice, de droit, etc. pour aborder les questions d’une façon culturellement différente.

La relation entre la pauvreté et l’accès à la santé est un enjeu majeur. Le ministère de la santé ne peut pas résoudre tous les problèmes. La France est un pays qui continue à souffrir d’une centralisation qui ne délègue pas, notamment d’un hospitalo-centrisme. Les ARS dépendent du ministère et leur indépendance est relative. Il faut arriver à ce que les politiques locales puissent tenir compte de la singularité d’un territoire, notamment en matière de prévention.

Quelle place pour les citoyens dans cette refondation de la santé publique ?

Sur cet aspect, Luc Ginot pointe trois exigences fortes à partir de l’expérience ARS Ile de France :

La participation des personnes concernées est incontournable : ainsi, les contrats locaux de santé associent sur un territoire les collectivités locales, l’ARS, les services de l’état et incluent la participation des habitants par des comités de quartier.

L’opération « Stop Covid ensemble » s’est montée avec la mobilisation des associations intermédiaires, les associations de quartier, de parent d’élèves : en particulier, la santé des jeunes supposait la mobilisation fondamentale des parents d’élèves.

Et puis, il y a la question de l’expertise : cela nécessite un accompagnement, parce qu’on ne fait pas les choses n’importe comment. Si on laisse aller le cours naturel des choses, les personnes les plus éloignées des intérêts pour la santé ne seront pas entendues.

Les enjeux d’une vision renouvelée de la santé publique :

Nous avons appris des manières de faire qui doivent rester ancrées dans nos pratiques, poursuit Luc Ginot ; elles permettraient de faire différemment de la santé publique.

Dans le Ségur de la santé, quelques aspects sont décisifs, en particulier sur les questions d’aller vers : par exemple un nouvel appel à projet permettrait de mettre en place une trentaine d’équipes pluridisciplinaires – infirmiers, travailleurs sociaux, médecins (mais ils ne sont pas forcément indispensables) – pour aller vers les personnes en situation de précarité et mettre en place des actions plus pérennes. Il faut à la fois garder la philosophie des pratiques et les traduire en termes de moyens : c’est le rôle du ministère de prendre ces décisions.

L’enjeu est de garder ce que nous avons appris de la crise Covid : elle a été très ébranlante pour nos équipes et collaborateurs. Il faudrait que nos partenaires et les élus gardent cette culture-là : qu’elle puisse perdurer de manière partagée.

La crise sanitaire a-t-elle joué un rôle de révélateur et d’aiguillon ? Dans les pratiques émergeantes, le décloisonnement a été réel et de nombreuses parties prenantes ont été investies, avec en arrière fond le modèle de la santé communautaire inspirée des Québécois. La dimension de la subsidiarité a été capitale. Les actions et les décisions ont été prises aux plus près du territoire en collaboration avec les personnes concernées : les corps intermédiaires ont joué un rôle essentiel.

Certains dysfonctionnements qui contribuent aux inégalités en santé ont été mis à jour : la question du logement en particulier est prégnante.

Une telle dynamique, fort heureusement, commence à émerger.

Ainsi dans la stratégie nationale pour l’autisme , le plan de santé publique associe les ministères de l’éducation, de la justice, de la santé ; cette logique interministérielle essentielle a dégagé 101 mesures et 5 engagements prioritaires. Sur certains territoires, des alliances entre intervenants divers (familles, professionnels, bénévoles) ont permis de mieux coordonner prises en charge et accompagnement des familles.

En gériatrie, les Plans Alzheimer ont abouti à une meilleure prise en charge du patient dans son environnement. Le moteur de ces avancées ne repose pas que sur les professionnels de santé : les associations (France Alzheimer, associations d’aidants etc…), les services sociaux territoriaux, les établissements médico sociaux, l’Assurance Maladie au titre de financements, le CNSA pour des actions d’innovation, ont permis la création de lieux et de projets respectueux des besoins des territoires. Autour d’une personne atteinte d’une maladie neurodégénérative, la prise en charge est interdisciplinaire : sur les territoires, de plus en plus, professionnels et familles peuvent avoir des lieux ressources coordonnés.

Ce sont là des dimensions et des enjeux fondamentaux que les SSF, notamment le groupe Santé, s’efforcent de repérer, à la lumière de la pensée sociale chrétienne : le groupe santé des SSF aura à cœur d’explorer ces pistes entrebâillées dans cette soirée.

Françoise et Jean-Luc Philip
Nice

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