Penser l’intelligence artificielle au prisme de la pensée sociale chrétienne

Penser l’intelligence artificielle au prisme de la pensée sociale chrétienne

L’intelligence artificielle (IA) constitue le thème de la rencontre 2025 des SSF[1]. Le pape François, puis le pape Léon XIV ont rappelé que le développement rapide de l’IA, « sans doute, un produit exceptionnel du génie humain », soulève néanmoins des questions profondes concernant son utilisation pour édifier une société plus juste et humaine. Ils nous ont également exhortés à contribuer au débat sur ce sujet et c’est l’objectif que se donnent les antennes régionales des SSF, puis les semainiers, en formulant quelques interrogations et des pistes pour y répondre.

Comment consentir à l’utilisation de l’IA ?

L’exposition « Le monde selon l’IA », qui vient de s’achever au Jeu de Paume à Paris, a décrit, de façon originale, la « face cachée du numérique » à travers des œuvres d’artistes contemporains. Ce que nous révèle le regard critique de la création artistique, ce sont les immenses potentialités de l’IA, mais aussi l’exploitation des pays du Sud, notamment par l’apport peu rémunéré des « travailleurs du clic » ou l’épuisement des ressources naturelles. 

Ainsi, cette exposition a constitué, pendant quelques mois, un vecteur utile d’acculturation à l’IA pour ses visiteurs. Elle nous invite aussi à imaginer des lieux possibles de formation ou d’accompagnement dans la société. Certains de ces lieux sont d’ailleurs déjà prévus par la loi.

Par exemple, la loi relative à la bioéthique (Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021) exprime, dans son article 17, une obligation de transparence pour le professionnel de santé à l’égard du patient si, « pour un acte de prévention, de diagnostic ou de soin, un dispositif médical comportant un traitement de données algorithmique dont l’apprentissage a été réalisé à partir de données massives ».

S’informer est nécessaire pour un consentement « libre et éclairé », car les innovations numériques s’enchaînent à grande vitesse dans tous les secteurs, parfois sans que nous le sachions, avec leurs lots de promesses pas toujours tenues. L’exigence de prendre du recul et de poser un regard critique s’impose donc.

L’IA, un progrès pour l’humanité ?

« Les techniques d’apprentissage profond permettent à l’IA de prendre des décisions et agir, sans que l’homme puisse comprendre le pourquoi et le comment », nous rappellent Pierre Giorgini et Thierry Magnin[2]. N’oublions pas que l’IA, ce n’est pas de l’intelligence, c’est avant tout un outil offrant une prodigieuse puissance de calcul. Ainsi, nous pourrions déléguer au seul traitement statistique des données, sans « garder la main » sur la décision prise, avec des possibilités de manipulation et un risque de perte de liberté. Il est temps de mettre en œuvre une vigilance éthique devant la révolution numérique afin de préserver la singularité humaine, la dignité et la responsabilité de l’homme, et positionner l’IA au service de l’intelligence collective, comme le soulignent les contributeurs du CNPEN[3], prolongeant la définition du progrès rappelée dans Laudato si.

Quel monde voulons-nous ?

Certes, l’énumération des risques potentiels pouvant être induits par l’IA, qui dépend des « grands groupes de la Tech », souligne qu’il y a un enjeu démocratique à réguler la technologie, et des textes européens ont, dans cette optique, été promulgués. Ne faudrait-il pas aussi inscrire ces innovations numériques dans un projet visant le bien commun ? Il est de notre responsabilité de dire la place du numérique dans notre monde[4]. Les algorithmes sont utiles lorsqu’ils nous permettent de devenir plus responsables, plus inventifs, plus sensibles aux autres et à notre environnement. À l’origine, certains pionniers du numérique voulaient rendre le monde meilleur. On voit aujourd’hui que cette ambition fut éphémère et que l’IA pose de réels défis pour « la défense de la dignité humaine, l’attention aux plus pauvres, aux plus vulnérables, la justice et le travail » (pape Léon XIV). Comment préserver un lien social, une relation humaine authentique, avec (ou sans) l’utilisation numérique ?

Faire de l’IA un outil de solidarité, de charité, à l’aune des principes de la pensée sociale chrétienne, doit être au cœur de la réflexion des Semaines sociales de France. Il nous appartient de proposer des pistes de solutions tenant compte des aspirations actuelles, mais aussi des souffrances contemporaines, où le numérique contribue à répondre tant à la clameur de la Terre qu’à la clameur des pauvres.

PIERRE-HENRI DUÉE et ÉRIC WENDLING, membres du Conseil d’administration des SSF


[1] Voir pages 4 et 5.

[2] Pierre Giorgini et Thierry Magnin (2021). Vers une civilisation de l’algorithme ? Un regard chrétien sur un défi éthique. Bayard éditions, 342 p.

[3] Éric Germain, Claude Kirchner et Catherine Tessier (2022). Pour une éthique du numérique. CNPEN, Presses universitaires de France, 264 p.

[4] Bernard Jarry-Lacombe, Jean-Marie Bergère, François Euvé et Hubert Tardieu (2022). Pour un numérique au service du bien commun. Éditions Odile Jacob, 240 p.

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