Deuxième journée de notre 99E Rencontre
Denis Malvy a commencé par nous emmener dans un périple philosophique, poétique, existentiel autour du lien foi–science. Il a surtout insisté sur la nécessité de garde-fous face à la limite originelle de l’IA : sa capacité à nous empêcher de réfléchir de manière critique.
Il s’agit de lui inculquer humilité, curiosité, peut-être même doute, là où elle sait habiller le faux des vêtements de la certitude. Il est urgent de construire des systèmes capables de se remettre en question, reconnaissant leurs limites. Chez l’humain : le courage. Chez la machine : humilité, acceptation de l’incertitude, curiosité, au cœur même de la démarche scientifique… et de la foi.
Quel regard de foi oser sur l’IA ? Qu’allons-nous faire de cette invention ? Nous osons la considérer comme une offrande, presque un offertoire.
Patrick Chastenet nous a ensuite invités à désacraliser la technique avec Jacques Ellul.
Jacques Ellul a pensé la technique comme puissance d’emprise sur notre humanité. Le danger : voir la technique, et aujourd’hui l’IA, comme un bloc autonome au sein duquel on ne pourrait pas effectuer de tri et où seule l’efficacité dicte le juste et l’injuste.
Mais cette autonomie est illusoire : à l’IA, nous promptons. L’enjeu est d’éviter de devenir les instruments de nos instruments, refuser d’en faire une idole, « profaner » l’IA. Adopter la devise de Bartleby : « j’aimerais mieux ne pas », préférer par exemple peindre ou faire de la musique.
Il ne s’agit pas de technophobie, mais de refuser la technolâtrie. Pour les chrétiens, garder l’idée de Hugues de Saint Victor : la technique, conséquence de la chute, est compensatrice, réparatrice, donc à fonction strictement délimitée.
Claude Kirchner a présenté le Comité Consultatif National d’Ethique du Numérique et sa raison d’être. Nous vivons une conversion numérique rapide et générale qui touche nos choix quotidiens comme la vie collective (budget, élections, circulation, conflits, recherche). Elle fascine et appelle la réflexion. L’éthique n’est ni conformité ni pur droit : elle est pensée critique.
En 2024, le CCNEN a été fondé pour proposer des recommandations sur le numérique et l’IA, en lien avec l’Europe et l’international. Un manifeste interroge les influences sur l’être humain, la fascination pour les machines, la remise en cause de l’autonomie humaine et les apports du numérique aux objectifs de développement durable.
Quelques exemples concrets : qui décide du traitement d’une image d’un téléphone à l’autre ? Comment choisir un hébergeur mail, avec quelles conséquences ?
Avec Jean-Noël Barrot nous nous sommes demandé quels choix éthiques et régaliens sont à envisager pour la France et ses alliés ?
Pour Barrot, en 2050, nous aurons cessé de voir l’IA comme rivale de l’intelligence humaine, puisqu’il n’existe pas de volonté artificielle et que notre intelligence naît de nos interactions sensibles. On parlera d’« assistance artificielle ».
Cette assistance pourrait être l’instrument d’une nouvelle Renaissance, comme l’imprimerie : progrès écologiques, sanitaires, sociaux, meilleurs accès aux services publics et aux droits. Mais l’IA peut aussi aggraver les maux : servir les seuls marchés, déverser des contenus violents, noyer le débat public, accentuer l’isolement et replonger dans des ténèbres médiévales. Deux scénarios sont donc possibles et c’est à nous d’œuvrer pour le premier.
La France s’est dotée d’une stratégie nationale dès 2018 et d’un plan d’investissement à horizon 2030. Il faut fixer un cadre sans inhiber l’innovation. L’Europe est pionnière ; développer nos technologies permettrait de mieux incarner notre vision de la dignité humaine et du respect des droits d’auteur.
Une gouvernance mondiale s’impose (processus G7, sommet de l’IA). Les limites éthiques proposées par le pape François – responsabilité, créativité, sensibilité – doivent orienter la mise de l’IA au service du bien commun et de la dignité. Sans discernement, la démocratie elle-même est menacée par le poison de la désinformation.
Au cours du week-end, Mariette Darrigrand nous a aidés à penser les mots de l’IA.
Elle a commencé par une expérience: si l’on demande des images de « l’IA » puis des « sciences cognitives », l’IA apparaît souvent comme figure féminine inquiétante, quasi sorcière, tandis que les sciences cognitives relèvent d’un imaginaire rationnel, masculin. Cette dissociation dit notre anthropomorphisme : l’IA, c’est « nous en mieux », ou « nous en pire ».
Il faut rappeler que l’IA est un produit humain, un artefact de l’homo faber, dont la création doit toujours avoir une finalité (voir Arendt). Jamais d’IA sans finalité.
Mariette Darrigrand convoque Métis, personnification de la ruse et du conseil, capable d’aider à discerner le bien du mal, devenue aussi nom de marques tech : preuve qu’on perçoit une singularité propre à l’intelligence humaine.
Ce que l’IA ne fait pas, c’est la conscience : cum, « avec » les autres, les outils, mais surtout à l’intérieur de nous. Ce que nous devons surveiller : les mots par lesquels nous nommerons les innovations, les hybridations, les hiérarchies justes – en rappelant que c’est bien l’homme qui est assisté par l’IA.
Le fil rouge spirituel avec Serge Ricaud et Corinne Gendrau nous a invités à méditer la prière de Salomon dans le Livre des Rois: « Accorde donc à ton serviteur un coeur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner le bien du mal! »
À l’issue de ce week-end, quels sont nos désirs profonds ? Avons-nous été hors d’atteinte ou minimalistes?
Eric Wendling, des SSF, a fait un point des retours sur le Manifeste. Semainières et semainiers ont fait plus de 200 retours sur la première version du Manifeste! La version finale sera disponible cette semaine et pourra être reprise et diffusée par chacune et chacun.
Finalement, Isabelle de Gaulmyn, présidente des SSF, a conclu ce très beau week-end. Elle a rappelé que l’IA transforme le monde et notre propre manière d’habiter ce monde et que nous voulons adopter à cet égard une « confiance critique ».
Si la question du moratoire se pose réellement, l’esprit des SSF est plutôt de faire confiance à l’être humain et d’encourager la connaissance et l’appropriation de ces outils, pour qu’ils ne restent pas aux mains de quelques-uns.
Deux axes se dessinent :
1/Former une éthique et un discernement collectif faits d’humilité et de curiosité, avec une auto-limitation personnelle dans nos usages.
2/Réguler face au risque de monopoles et de menaces sur les libertés individuelles, en soutenant des institutions démocratiques, nécessairement européennes.
Enfin, la session 2026, 100e session, se veut ambitieuse : dans un contexte d’élections mais au-delà, proposer un cadre de discernement pour notre pays à la lumière de l’Évangile et de la tradition chrétienne, avec d’autres grandes associations, des théologiennes et théologiens, et l’engagement de chacune et chacun.
Merci à nos animateurs: Anne Guion (La Vie), Arnaud Broustet (SSF), Pierre-Henri Duée (SSF), François Euvé (Revue Etudes)











