Dossier Fin de vie

Retour sur la conférence sur l’accompagnement de fin de vie par le Sesam

Fin de vie

Les Semaines sociales des Alpes-Maritimes (groupe santé) et l’Ehpad « Ma Maison » de Nice ont invité à une soirée de rencontre, de partage et de réflexion autour de la fin de vie.

Des praticiens (médecins, infirmiers, religieuses etc.) y ont fait part de leurs pratiques et de leurs expériences. Des temps de réactions et de questionnements ont suivi ces témoignages.

Cette soirée se passait bien sûr dans le contexte actuel de réflexion sur l’évolution de la législation relative à la fin de vie, mais elle se voulait surtout un temps d’échange sur des expériences d’accompagnement de la part de soignants et de religieuses, petites sœurs des pauvres, pour qui ce type d’accompagnement est au centre de la vocation. Cette soirée se situait aussi dans la perspective d’un travail d’analyse, de recueil de témoignages et de rédaction de documents au sein du groupe santé des semaines sociales de France. La déclaration des Semaines sociales de France rédigée en mars 2023 à la suite de travaux de plusieurs est axée sur quelques points :

  • Il convient de garantir à tous l’accès aux soins palliatifs et de permettre d’évoluer vers une culture palliative avant d’envisager une évolution de la législation.
  • La voie d’une nouvelle législation n’est peut-être pas la façon la plus judicieuse de répondre aux difficultés actuelles, notamment compte tenu de la dégradation actuelle du système de santé.
  • Il est urgent de communiquer sur les lois existantes très mal connues et souvent mal appliquées, d’où certaines expériences dramatiques de « mal mourir ».

Les types d’accompagnements évoqués au cours de la soirée se situaient non pas au sein de services spécialisés, mais à domicile et en EHPAD : l’idée était d’évoquer des séquences de soins en fin de vie, dans la réalité de soignants aujourd’hui, de équipes, investis dans les lieux ordinaires de soins.

En introduction, le docteur Jean-Luc Philip a évoqué le travail de qualité qui se fait au sein de Ma maison, EHPAD des petites sœurs des pauvres, dans un quartier de Nice, en introduction aux riches témoignages apportés.

***

Le temps des témoignages

Sœur Agnès :

J’ai la particularité d’être médecin de formation et d’avoir eu à vivre en famille à domicile le décès de mon frère, le décès de mon père, à la maison, en EHPAD, à l’hôpital. J’aimerais surtout rester dans le concret et parler de l’essentiel pour nous.

 Premièrement, je m’appelle petite sœur, et comme petite sœur, je ne suis pas celle qui sait. Je suis celle qui est au service et celle qui entend. Je voudrais parler de quelque chose qui fait peur et qu’on entend beaucoup actuellement.

La grande leçon des soins palliatifs, ce sont des médecins, des infirmières qui écoutent, qui entendent ce que le patient, le résident, les proches disent, et qui partent de là. Il me semble que la grande peur de la fin de vie de la part des patients, elle est là : ils disent « on ne m’entend pas, on ne m’écoute pas. On ne va pas prendre en compte ce que je dis ».

Là, je parle pour nous : si dès l’accueil du résident, on part du parti pris que ce qu’il dit est important, que c’est ce que je dois entendre, à partir de là, les choses s’engagent pour lui laisser cette liberté de parole et pour pouvoir poser les choses avec lui. La mort, notre mort, celle de chacun de nous, s’inscrit dans toutes les morts que chacun de nous porte avec lui avant : il est primordial que le résident puisse les déposer, les partager durant le séjour. Il faut essayer que ce séjour soit le plus agréable possible mais laisse place aussi à cet espace de parole, et surtout cet espace d’écoute où je vais entendre ce que la personne me dit. Tout va partir de là, que ce soit pour le médecin, encore plus la petite sœur, l’infirmière, celle qui va aider aux soins, celle qui va aider un résident à manger : que chacun parte de ce que dit la personne.

Deuxièmement, et cela vient à la suite, il est vrai que certaines vies sont insupportables. Je le souvenir d’une personne âgée de 90 ans ou plus : elle s’est cassé la jambe, est partie à l’hôpital où on lui a posé prothèse, elle est rentrée, puis elle s’est luxé la hanche, d’où un deuxième passage au bloc opératoire :  elle est ainsi passée au moins cinq fois au bloc. Elle n’en pouvait plus. Elle disait : « laissez-moi mourir faites-moi mourir. »

Il nous faut entendre ces cris. Pour cette dame, on a vraiment réfléchi à ce qu’il fallait faire. La hanche était tellement fragile, que c’était presque impossible d’envisager qu’elle rentre : lui faire un change au lit, c’était impossible tellement la hanche était fragile. Finalement, dès que ça s’est un peu consolidé, on a proposé de la faire rentrer à Ma Maison pour Noël, et ainsi de suite : entre décembre et janvier 2022, elle a fait des allers-retours entre l’hôpital et Ma Maison, et à ce jour elle est toujours vivante. C’est un exemple : une personne qui n’est pas bien, chez qui les douleurs sont insupportables peut exprimer un désir de mort. Puis ça va mieux, et la demande de mort est peut-être moins importante. Il y a cette ambivalence qui fait s’approcher de la mort, et puis s’en retirer un peu : il faut du temps pour laisser place à ça, cela ne se fait pas en quinze jours. Ça va dans l’écoute, l’accompagnement, dans cette connaissance, dans la proximité. Eloi Leclerc dit quelque chose de très beaux à propos des petites sœurs : « elles ne sont pas seulement témoins de la tendresse de Dieu, elles sont ses bras ». C’est tout le cœur de notre accompagnement : être témoin de cette tendresse de Dieu. Ce n’est pas parce qu’on est beau, jeune riche et en bonne santé : tout ce qu’on fait autour de nous montre que les résidents ont du prix. Ils ont toute une vie en eux.

L’accompagnement ne passe pas par des discours, mais par un geste, une attention, une proximité. Leur dire que leur vie n’est pas une dégringolade au fond d’un gouffre, car c’est ça la vieillesse aujourd’hui : je suis en train de dégringoler, de retourner en enfance. Saintes horreurs ! Non, nous sommes en train d’arriver en haut de la montagne, et c’est dur, il faut s’encorder, car on n’y arrive pas tout seul. On arrive en haut de la montagne, ce n’est pas la même chose que de dire je tombe au fond d’un gouffre.

Mère Rosemary

raconte, avec son délicieux accent écossais : l’accompagnement est vraiment le sommet de notre vie de petites sœurs des pauvres. On est là pour ça. On est heureuses d’accueillir les résidents, et beaucoup d’entre eux viennent à Ma Maison parce qu’on est là. Elles savent qu’elles auront quelqu’un autour d’elles, quand elles feront le grand pas.

On dit fin de vie, mais non, on entre dans une autre vie. Et on est là du début jusqu’à la fin pour accompagner, et enfin pour ce dernier pas qui n’est pas facile. C’est très différent pour chaque personne, on n’a pas de situation pareille. Il y a des personnes qui partent très sereinement : même si elles ne sont pas entourées par leurs familles, elles ont les petites sœurs. Il faut savoir que nous les petites sœurs, on veille, on essaie autant que possible d’être aux côtés du résident qui est en train de faire le grand passage. Souvent dans la journée, les petites sœurs aînées qui ne peuvent pas veiller la nuit sont aux côtés de la personne pendant la journée. Elles sont là silencieusement : toucher la personne, humecter ses lèvres, tout ça c’est de la présence. Mais le soir nous faisons nos trois veilles : une petite sœur commence de neuf heures à minuit, une autre de minuit à trois heures, et la dernière de trois heures à six heures. Et comme ça les résidents se sentent vraiment en sécurité, ils ne vont pas partir seuls, ce qui est souvent un sujet d’angoisse : « est-ce que je vais m’en aller tout seul ? ». C’est pourquoi, pour nous les petites sœurs, c’est très important d’être là. Il arrive parfois qu’une personne meure subitement et seul : c’est dans le plan de Dieu, on n’y peut rien.

Chaque accompagnement est différent. Pour telle personne, il faut être silencieux, juste être à côté pour que la personne sente la présence. D’autres aiment entendre la voix. J’ai même accompagné un monsieur qui voulait la télévision avec lui ; il ne voulait pas mourir sans avoir sa télévision. Bien sûr, ce n’était pas dans notre habitude mais voilà c’était son désir. Et on l’a laissé écouter sa télévision, ce qui nous a changées de nos habitudes qui est d’être là, prier : là, il y avait la télévision. Un autre monsieur a voulu mourir avec ses souliers. Il voulait être enterré avec ses souliers. On l’a fait : c’est un autre type d’accompagnement. Une autre fois, j’ai trouvé un très beau geste de la part d’une infirmière : un monsieur se trouvait très mal alors qu’elle terminait son travail. L’infirmière est venue me voir, en me disant : « ce monsieur ne va pas passer la nuit ». On est allées dans la chambre, elle a pris ma main, et elle l’a mise dans la main du monsieur, en disant : « moi maintenant je ne peux plus rien faire, maintenant c’est vous. » J’ai trouvé ce geste extraordinaire de la part de cette personne, et donc on a pu accompagner ce monsieur qui est mort peu de temps après, mais on était toutes là autour de lui.

Pour nous, c’est ça permettre aux personnes de faire le grand passage. L’essentiel c’est de les écouter, écouter les familles, parce qu’il y a les personnes âgées qui vont mourir, mais aussi les familles. Je me souviens de ce résident qui a mis plusieurs jours à partir, et la famille était dans l’angoisse. Ils sont restés cinq à six jours avec nous, même parfois la nuit, et ainsi petit à petit, ils se sont apaisés parce qu’ils ont senti la présence auprès du résident.

C’est vrai, accompagner ce n’est jamais facile : on ne sait pas ce qui va arriver, comment la personne est, selon qu’elle est dans un état de conscience ou pas… Pour nous, tout est là. Jeanne Jugan a été la première à accompagner toutes ces personnes en train de mourir, et nous continuons son œuvre dans cet accompagnement de fin de vie : aller vers l’autre vie et l’accompagner jusqu’au bout. C’est très important : vous savez, on ne se dispute pas en communauté, mais on se dispute pour aller auprès de la personne qui est en train de partir. Il ne manque jamais quelqu’un. On n’est pas nombreuses dans nos communautés, mais c’est chacun son tour. Et c’est ce que les résidents viennent chercher ici. D’ailleurs, il ne faut pas penser que les résidents n’accompagnent pas de leur côté. Les autres résidents eux aussi, sont proches du résident qui est en train de mourir. Eux aussi sont dans l’accompagnement et ils n’ont pas peur, à part quelques cas assez rares. Et souvent, je vois les personnes âgées partir sans souffrance : je peux dire souvent dans ma vie de petite sœur. J’ai vu des personnes partir dans la souffrance et surtout dans la peur oui, mais après ça s’apaise. On a de beaux témoignages de reconnaissance pour ce que l’on a fait dans cet accompagnement. Souvent les familles reviennent à Ma Maison, parce que justement elles ont senti cette présence auprès du résident.

 Voilà, on ne sait pas exactement ce qu’il faut faire, mais en tout cas ce sont des moments très privilégiés. Il y a un apaisement, on ne dit rien, mais on est là. On n’a aucune idée de ce qui est en train de se passer, mais on est là. On est impuissant, mais la vie continue, on met la main sur la main de l’autre, c’est la main du Seigneur qui parle. Même si ce n’est pas toujours facile.

Docteur Cyrielle Rambaud Collet, gériatre, Médecin coordinateur à Ma Maison :

J’ai rarement eu des soucis à soulager des souffrances de personnes en fin de vie. Mais Les familles sont dans l’angoisse, elles ont énormément de questions, de peur.

 La plus grande problématique que j’ai pu rencontrer était auprès des familles dans la peur : elles trouvaient que ça allait trop vite, ou pas assez vite, elles étaient dans l’angoisse. Et on essayait à chaque fois de replacer la personne au centre en disant : « on comprend que c’est dur pour vous, mais pour votre parente, on a soulagé les souffrances, elle n’a pas d’angoisse, elle est là. Vous, vous êtes dans cette attente, mais elle est bien. Il faut attendre, et c’est à elle de décider. » Combien de fois on a attendu parce que le petit-fils de Paris devait descendre ; ou bien les familles veillent jour et nuit, puisqu’à l’hôpital ce sont les familles qui restent 24 heures sur 24, et descendent prendre un café. C’est à ce moment-là que la personne part. « Vous, vous vous allez vous éclipser un moment, et la personne part. C’est son choix ».

 En tant que médecin, j’ai rarement eu des situations où j’ai eu du mal à soulager des personnes. Auprès des familles, dès le départ je dis : « on va essayer de répondre à chaque symptôme au fur et à mesure qu’il arrive. On ne peut pas savoir combien de temps ça prendra, mais ce que je peux vous dire c’est qu’on a les moyens de soulager et on le fera au fur et à mesure. » A l’EHPAD c’est plus facile, parce que les familles connaissent déjà les petites sœurs, le personnel, et elles sont déjà en confiance. Mais il y a toujours un inconnu. De plus, maintenant que les personnes vivent très âgées, dans l’esprit des familles c’est un peu comme si elles devenaient immortelles. Et au moment où ça arrive, c’est la panique devant ce que l’on ne l’avait pas imaginé. Autant avec des personnes plus jeunes qui souffrent d’une longue maladie, le cheminement se fait par étapes, autant avec une personne vieillissante, pour qui un jour les choses s’accélèrent, c’est plus difficile.

L’accompagnement, c’est dire : « oui c’est la fin, mais ça va prendre peut-être un certain temps, et on va soulager au fur et à mesure ». Et c’est là que les sœurs font un travail formidable : les familles savent qu’il y aura toujours quelqu’un pour accompagner, pour soulager, adapter les traitements. Et je crois que c’est important aussi pour les équipes de savoir qu’il y aura toujours une solution. Si les choses se passent mal, si un nouveau symptôme apparaît, on va chercher et on va trouver une solution pour soulager, peut-être pas dans la minute, mais on va soulager, on a des moyens. Malheureusement, il existe des situations de fin de vie mal coordonnées, ce qui amène de la souffrance, des questionnements et aussi l’envie de franchir un cap. Bien sûr, il y a des situations qui sont plus difficiles, mais dans mon expérience, on a toujours réussi à accompagner les personnes de manière digne.

Docteur Jean-Luc Philip :

Je vais évoquer deux situations qui se sont passées à domicile et qui m’ont fait particulièrement réfléchir.

La première est celle d’une dame chez qui on avait diagnostiqué une tumeur maligne, et pour qui, il fallait introduire un questionnement éthique : prendre les risques d’un geste opératoire, déraisonnable d’après les chirurgiens, ou s’engager dans un simple accompagnement. En ville, comment faire ? À l’hôpital, il y a un comité d’éthique, mais en ville les soignants, le médecin se croisent et il n’y a pas de lieu pour cela. La fille qui habitait à Montpellier a demandé un avis. Un médecin de Montpellier a accompagné ce projet de soins – le projet d’accompagnement-, et ça été un point positif.

L’accompagnement s’est finalement bien fait. Dans toute situation de ce type, je laissais toujours mon portable ouvert de façon à être disponible. Je passais régulièrement tous les jeudis.

 Après quelques mois, je devais donc passer et le mercredi soir, j’ai eu un appel de la fille. Je savais qu’elle était à Montpellier et j’étais assez surpris de ce qu’elle me disait : je suis resté un peu en apnée, et au bout d’un moment, elle me dit : « j’ai l’impression que vous n’êtes pas au courant ». En fait sa maman était décédée le matin à cinq heures.

Ce qui m’a beaucoup choqué, c’est qu’on a fait cet effort d’accompagnement, de présence, avec les infirmiers, les équipes de l’HAD, et là, à cinq heures du matin, l’infirmier est passé très vite, un médecin a dû constater le décès, l’infirmier a retiré le matériel en place. Personne ne m’a appelé.

On vient de parler d’équipe avec qui se joue l’accompagnement, et la question est vraiment celle de de la coordination à domicile.

Cela m’a tellement interrogé qu’avec Françoise, on a réfléchi ensemble ; on était en train de suivre un Master 2 d’éthique. On a donc écrit à l’HAD et on est allés voir le directeur, non pas pour critiquer mais pour trouver des pistes d’amélioration. Ce genre de situation est vraiment très difficile ; il convient de rechercher des leviers et voir comment en ville, avec l’éclatement des intervenants, on peut améliorer les choses :  dans cet exemple, comment trouver des pistes d’amélioration pour les interventions de l’HAD, et voir comment on peut rester présent auprès de la famille pendant et même après le décès. C’est tout l’enjeu dans notre système de soin en évolution : on constate une disponibilité aléatoire des soignants, des visites à domicile quasiment disparues. Dans l’avis 139 du CNCE, tout cela est noté et cela me conforte : il ne s’agit pas seulement de mon questionnement personnel. Je suis heureux de le repérer parce que c’est au cœur du bouleversement de notre système de santé. Comme citoyen, il est important d’en prendre conscience, et voir comment on peut améliorer cet accompagnement de la fin de vie.

La deuxième situation concerne l’accompagnement d’un monsieur qui avait un cancer à la gorge, qui fumait beaucoup, refusait de s’arrêter : il ne voulait pas se faire soigner ni opérer. Je lui ai présenté le bénéfice risque de l’opération, et il a accepté à condition que je vienne le voir à l’hôpital après l’opération. Il y a donc eu un contrat, une alliance thérapeutique, une acceptation de sa part mais sous certaines conditions.

Il s’est fait opérer, et je suis passé le voir en réanimation. Si je n’avais pas tenu parole, ç’aurait été un drame. D’où l’importance d’une parole donnée et respectée : elle a une intensité très forte dans un parcours de soin.

Cette confiance s’est trouvée renforcé quand après sa sortie de l’hôpital, il s’est aggravé quelques temps après. On a mis en place une hospitalisation à domicile, car il ne voulait absolument pas d’une fin de vie à l’hôpital. Il fallait que je lui promesse que quoi qu’il arrive, il ne soit pas hospitalisé.

 Son état s’est aggravé. Un jour il est tombé du lit et les pompiers sont intervenus : il a refusé de nouveau l’hospitalisation.

Un jour, son épouse me demande si je persistais à le maintenir à domicile malgré l’aggravation. Elle me dit :« vous savez, il a un revolver dans sa table de nuit et il pourrait s’en servir. ». Ça été en quelque sorte le renouvellement du contrat de confiance, et la confirmation de la parole tenue. Il a eu finalement une belle fin de vie à domicile, avec son épouse, et ça s’est bien passé.

A domicile, l’environnement fait que c’est très compliqué. J’allais voir ce monsieur à 10 heures du soir pour pouvoir me garer sans risquer d’avoir un PV. En 40 ans de médecine, j’ai vu la dégradation du respect pour les soignants : les PV pleuvent malgré les caducées. Il n’y a pas que les médecins qui vont à domicile bien sûr, mais aussi des aides-soignants, des infirmiers qui eux aussi sont en difficulté. Les Français désirent une fin de vie à domicile, mais rien n’est fait pour respecter et soutenir le passage à domicile des soignants. Il y a toute une réflexion à ce propos, peut-être pour modifier ces conditions de prises en charge, en tout cas les enjeux sont considérables.

***

Le temps de l’échange et du débat

Ces trois témoignages ont été suivis d’un temps en petits groupes où les participants étaient invités à partager sur leurs propres résonances et questionnements.

Puis s’est engagé un échange très riche dont nous relevons quelques points :

Sœur Agnès :

Il faut peut-être élargir les choses, il n’y a pas que les médecins et les infirmiers qui interviennent. Il faut parler des bénévoles, de l’accompagnement spirituel qui peut se faire, tout cela fait pleinement partie de l’accompagnement.

Docteur Philip : il est capital de déléguer, on ne fait pas tout seul, on est dans l’échange.

Sœur Agnès : tout dépend aussi de ce que la personne désire et va accepter.

MGO : il y a aussi très certainement un problème de société. Dans mon métier de psychologue, j’ai vu les choses se dégrader et comment la qualité du suivi, des bilans psychologiques s’amenuiser. Tout cela je l’ai subi. Pourtant, je pense que la société cherche la création de liens, de nouvelles façons de faire du lien social.

GF : certaines personnes donnent quelques heures dans le mois pour visiter des personnes en fin de vie. Cela atténue la solitude qui est une grande source de souffrance pour ces personnes.

Il y a peut-être des modalités à rechercher pour que de telles initiatives puissent être proposée et mise en œuvre.
MGO : cela fait partie des engagements qu’on peut avoir en tant que citoyen et même plus en tant qu’humain.

GF : certains chrétiens s’y engagent vraiment au nom de la fraternité, et l’accompagnement de fin de vie peut prendre une dimension spirituelle, cette dimension qui échappe beaucoup au monde du soin, où la dimension biologique, sociale, psychologique sont bien pris en compte.

Docteur Philip : « parlons de la mort tant qu’il fait beau pour donner du sens au temps présent », c’est une phrase du père Gabriel Ringlet qui nous a beaucoup inspirés et que j’aime à répéter. La mort est taboue dans notre société ; ce futur projet de loi réveille et oblige à en parler.

Des infirmières d’une EHPAD revenant des assises des EHPAD, ont assisté à un débat sur ce sujet. Elles disent : « il y avait les pour, il y avait les contre, mais au moins on a pu en parler. Ça nous amène à réfléchir ».

Sœur Agnès : les enjeux actuels obligent les soignants à l’excellence tant les défis sont importants. Il faut être excellent pour permettre la vie. Nous tenons à ce que nos EHPAD restent des lieux de vie, et pour cela il est important que des personnes encore très valides cohabitent avec d’autres beaucoup plus fragilisées. Malheureusement, les EHPAD sont essentiellement budgétisés sur le niveau de dépendance des résidents sans tenir compte de l’importance de cette diversité qui permet de maintenir la vie et l’autonomie. Il y a là un enjeu quant au regard de la société sur le malade et pour les soignants, quant à leur positionnement.

Docteur Philip : il est important de développer une culture palliative : nous en avons parlé dans le document des semaines sociales, tant au niveau des soignants que des citoyens. Développer l’information de tous et la formation des professionnels est un enjeu capital car le retard est énorme en ce domaine.

Sœur Agnès : il y a beaucoup d’interrogations sur les souffrances des mourants. Oui c’est la situation de la plus grande fragilité où on sent que notre corps nous lâche. Il y a un mal-être, une angoisse reliée à cette expérience. Je pense à ce père chartreux qui était dans ce mal-être. Je m’assois à côté de lui, et je lui dis : « mais là, c’est le seigneur qui est en train de vous appeler. » « Ah oui c’est ça. » Et en fait, il a réalisé que ce qu’il attendait depuis des mois était en train d’advenir. Il s’est apaisé.

La mort est vraiment de l’ordre du mystère. On est à côté, mais on ne sait vraiment pas ce qui se passe.

Docteur Philip : tout cela est à considérer dans l’évolution actuelle du système de soins. On est passé d’une médecine paternaliste, à la démocratie sanitaire ; le pas suivant qui est en train de se mettre en place prendra en compte la présence et le rôle des patients dans les décisions et les parcours de soins. Des innovations sont en cours, comme l’initiative d’un diplôme universitaire « partenariat patient–soignants » (Françoise a contribué à sa mise en place) et la prise en compte des patients experts dans les systèmes d’organisation.

Une autre innovation : il existe un certain nombre d’initiatives, toutes identifiées sous l’enjeu d’un renforcement du domicile. L’objectif est de permettre aux personnes fragilisées et à leurs proches de rester à domicile si possible jusqu’au bout. Une expérience de ce type en France vient d’être pérennisée et budgétisée : 156 centres de ce type- CRT (centre de ressources de territoire) – sont créés sur l’Hexagone.

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En fin de réunion, mère Rosemary nous annonce que les petites sœurs des pauvres s’engagent dans un projet innovant : sur la propriété des clarisses de Nice, devenu trop âgé pour rester sur le lieu, les petites sœurs des pauvres vont essayer de développer une autre façon d’accueillir les résidents sous la forme d’un habitat partagé. Le désir est de rester au cœur de la vocation des sœurs des pauvres à la suite de Jeanne Jugan, accueillir les plus pauvres et en particulier les personnes marginalisées, sans habitat digne et souffrant peut-être de certaine fragilité psychique.

Tout est à étudier, mais le projet relève de ces EHPAD atypiques que sont les maisons des petites sœurs des pauvres. Autre façon de continuer leur œuvre mais de façon nouvelle.

Françoise et Jean-Luc Philip, SESAM, Groupe santé des SSF

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