Le sursaut de l’Europe


Par lAntenne de Lyon

Les actualités internationales défilent à toute allure. Nous croulons sous la multiplication des annonces.
Il est nécessaire de faire le point.

Le « tsunami Trump »
L’évènement principal est ce qu’on peut appeler le « tsunami Trump ». Depuis son élection et son entrée en fonction, le président américain républicain a cherché à déstabiliser les relations internationales en application du slogan des élections « Make America Great Again » (MAGA). Citons notamment :
la baisse de la contribution militaire et logistique américaine dans l’aide à l’Ukraine pour sa défense contre l’invasion russe, l’humiliation du président Zelenski, le vote pro-russe à l’ONU ;
la volonté affichée d’annexer le Canada comme une extension naturelle des USA, ainsi que le Groenland au nom de la sécurité et pour disposer de leurs ressources minières, et de contrôler le canal de Panamal et l’Arctique, face aux menaces russe et chinoise ;
la guerre commerciale, via l’augmentation des taxes douanières, pour rééquilibrer les balances commerciales, protéger l’économie américaine et apporter une ressource au budget fédéral destinée à compenser les baisses d’impôts et le remboursement de la dette, avec le risque d’une grave crise économique mondiale ;
l’abandon du soutien financier aux organisations d’aide humanitaire et de développement (US Aid notamment) et la suspension de la contribution à l’OMS;
le désengagement en matière d’environnement et de réchauffement climatique par le retrait du Traité de Paris, l’arrêt des subventions aux organismes américains du domaine et les investissements massifs dans l’exploitation des énergies fossiles ;
toute une série d’ingérences dans les politiques nationales pour affaiblir les gouvernements européens, comme les attaques contre le premier ministre britannique, le gouvernement Canadien ou Danois, et le soutien de partis d’extrême droite, comme l’AFD en Allemagne, le Rassemblement National en France.

Cette longue liste n’est pas exhaustive. Il faut aussi mentionner le soutien au gouvernement israélien dans sa politique de destructions et d’hécatombes à Gaza, en Cisjordanie, et jusqu’au Liban. Les Etats-Unis, eux-mêmes, subissent l’arrêt de programmes de recherche, les licenciements d’agents publics, l’abandon de dispositifs d’aides sociales, etc. … sans oublier les expulsions d’immigrés dénoncées par le pape François comme « programme de déportations de masse » dans une lettre adressée le 10 février dernier aux évêques américains.

Derrière les incohérences des diverses annonces et mesures, se profile un projet idéologique et politique explicité dans un stupéfiant discours du vice-président JD Vance à Munich le 14 février, avec un curieux mélange de populisme, d’isolationnisme et de brutalité impériale. L’Union européenne est attaquée comme une construction destinée à contrer les intérêts états-uniens, la haine sur les réseaux sociaux justifiée, l’immigration instrumentalisée, le droit et les règlements bafoués parce qu’ils pénalisent l’initiative et la liberté.

Dans le monde beaucoup sont sidérés, alors que les dirigeants des régimes autoritaires se réjouissent. L’Europe sous le choc du revirement américain en Ukraine et du chantage douanier, comprend qu’elle doit se mobiliser sur tous les fronts : défense, économie, écologie et climat, modèle social.

Construire une défense européenne
L’humiliation du président ukrainien Zelenski à la maison Blanche, le vote avec la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU pour une résolution sans référence à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la volonté de prise en main des minerais de terres rares ukrainiens, les pressions pour un cessez-le-feu sans garanties réelles, tous ces évènements ont révélé un revirement favorable à l’agresseur et un mépris du droit international. Les négociations américano-russes n’empêchent pas les bombes russes de continuer à tuer les civils ukrainiens. Dans cette tension extrême de la scène internationale, signalons la courageuse prise de position des évêques européens (COMECE) soulignant dans leur déclaration du 4 mars que « la lutte de l’Ukraine pour la paix et la défense de son intégrité territoriale n’est pas seulement une lutte pour son propre avenir. Son issue sera également décisive pour le sort de l’ensemble du continent européen et d’un monde libre et démocratique » L’UE se mobilise, à la fois en accroissant son soutien financier et militaire à l’Ukraine, et en accélérant ses plans de production d’armements à hauteur de 800Md €. Les budgets nationaux consacrés à la défense sont augmentés dans la plupart des pays. L’Allemagne est allée jusqu’à modifier sa Constitution pour pouvoir alors augmenter sa dette.

Relever les défis écologiques et sociaux
Le commerce international et notamment les taxes douanières sont de la compétence exclusive de l’Union. L’Europe a choisi de mettre en œuvre des réponses progressives à la guerre commerciale internationale déclenchée par le gouvernement américain, ce qui l’amènera à tenir compte des échanges avec les autres régions du monde.
En outre, le bruit des armes et la guerre hybride, ne doivent pas faire oublier que l’urgence écologique et climatique demeure et nécessite des investissements importants. Le Pacte vert européen, pourtant récent, est menacé, notamment sous le prétexte de simplifier et réduire les réglementations. C’est le cas par exemple de la directive sur le devoir de vigilance et de celle relative aux informations concernant l’impact des entreprises sur la société et l’environnement.
Les budgets des Etats sont contraints, et les mesures sociales sous tension. Or la cohésion sociale est une condition essentielle pour pouvoir décider et mettre en œuvre les efforts nécessaires dans les domaines de la défense et de l’écologie.
Il est indispensable de conduire à la fois des politiques ambitieuses sur ces trois fronts : renforcer la défense, mener à bien le Pacte vert, conforter le modèle social européen.
Le très faible budget européen (environ 1% du PIB) ne peut y suffire. Il devra être augmenté et doté de davantage de ressources propres. A la suite du Covid, l’Europe pour la première fois a eu recours à l’emprunt. Elle vient de le faire à nouveau pour la défense. Pour répondre aux défis actuels, les rapports Letta et Draghi publiés en 2024 préconisent un accroissement des investissements. Il est temps de s’en inspirer.


Un sursaut est nécessaire.
Les défis sont importants, ils sont mondiaux. L’Europe est à l’échelle pour y faire face. Elle en a la capacité par sa population, son économie, son grand marché.
Les désaccords entre pays européens sont parfois irritants. Signes de démocratie, ils enrichissent le débat, mais ils deviennent des faiblesses lorsque le jeu des institutions renforce les oppositions, freine, voire paralyse l’action. C’est trop souvent le cas avec la gestion inter-gouvernementale qui prévaut au Conseil, surtout dans les domaines où la règle de l’unanimité s’impose. Le Parlement européen a formulé des propositions pour surmonter ces blocages tout en améliorant le fonctionnement démocratique. Face aux bouleversements du monde, nous avons plus que jamais besoin de l’Europe.

Un sursaut politique est nécessaire, pour renforcer la capacité de décision et d’action de l’Union européenne.

L’antenne de Lyon, le 11 avril 2025

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