Quelle défense européenne ?

Par l’antenne de Lyon

Après plusieurs décennies de paix apparente qui nous avaient fait oublier l’existence de la guerre sur notre continent, l’Europe se réveille sous la double provocation de la Russie en Ukraine et des discours menaçants de Donald Trump dans plusieurs domaines, y compris en matière de défense. Dans les années 90, l’éclatement de la Yougoslavie avait ravivé les conflits latents dans les Balkans où la situation est toujours tendue. Aujourd’hui, pour toute l’Europe, le choc est brutal et de nouvelles perspectives doivent être dessinées par les Européens eux-mêmes.
Ce ne sont pas seulement les domaines militaires classiques qui sont concernés mais aussi les satellites et la guerre dans l’espace, et les nombreuses opérations d’influence, d’ingérence et de déstabilisation qui se multiplient avec la guerre hybride. Nos amis d’IXE (Initiative de chrétiens pour l’Europe) viennent d’en souligner les enjeux en appelant à ne pas sous-estimer les menaces de désinformation massive qui visent nos pays.

De l’hégémonie américaine à la menace du désengagement
L’OTAN voit le jour en 1949 alors que la guerre froide s’installe entre l’URSS et les pays occidentaux. Cette organisation militaire défensive, intégrée et permanente doit protéger ses membres de toute agression par un pays tiers, le principal visé étant l’URSS, et des risques de velléités expansionnistes qui amèneraient de nouvelles zones sous obédience communiste. La France avait manifesté quelques distances lorsqu’en 1966, le général de Gaulle étant président de la République, elle s’était retirée de son commandement intégré jusqu’à ce qu’elle y revienne en 2009, sous la présidence de N. Sarkozy.
Les années 1990 sont celles d’une certaine euphorie dans les relations internationales qui se traduit par une chute des budgets consacrés à la Défense. Entre 1990 et 2000, la part des dépenses de défense dans le PIB des quatre plus grandes nations européennes passe de 3,15 % à 2,18 %, soit une baisse de presque un tiers ; pour les États-Unis, la baisse est encore plus importante, les dépenses passant sur la même période de 5,6 % à 3,1 % du PIB, soit une chute de 45 %. Cette évolution était confortée par une collaboration institutionnelle entre l’OTAN et la Fédération de Russie.
Cependant, dès les années 60, les États-Unis avaient demandé à leurs alliés de relever leur contribution au budget de l’OTAN, demande rappelée par Barak Obama en 2014, avec une prise en compte modérée par les pays concernés. Plus fermement ensuite, Donald Trump est allé jusqu’à exiger une part de 5% du PIB pour les dépenses militaires, tout en mettant en doute la solidarité avec les pays qui n’atteindraient pas ce niveau. Aujourd’hui, le budget de l’OTAN est assuré majoritairement par les États-Unis, à hauteur de 64% en 2024, alors que leur PIB ne représente que 53% de celui de l’ensemble des membres de l’OTAN ; 23 pays sur 32 ont dépassé le seuil de 2% du PIB en 2024, dont la France.

L’Europe bouge
Le traité de l’Union européenne, comporte une clause d’obligation d’assistance à tout Etat membre qui serait l’objet d’une agression armée (TUE, art. 42). L’Union mène une politique de sécurité et de Quelle défense européenne ? Antenne sociale de Lyon Commission Europe défense commune, appuyée sur une politique étrangère et de sécurité commune. Elle s’est dotée d’une « boussole stratégique ». Kaja Kallas, haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, exerce cette responsabilité. Cela reste cependant fragile en raison des divergences entre Etats membres dans des domaines où l’unanimité est requise.
Dans la période récente, face à l’agression russe et aux déclarations américaines, plusieurs évolutions significatives ont cependant fait progresser la réflexion et permis de prendre des décisions pour la défense européenne :
– Allemagne : « révolution » dans les concepts budgétaires avec la possibilité d’emprunter pour financer les dépenses militaires, la Constitution vient d’être modifiée pour permettre d’accroitre la dette.
– Pologne : accélération à grands pas de son budget de défense (2% en 2014 et 4,7% en 2025)
– Union Européenne : Livre blanc et plan « ReArm Europe », avec un objectif 2030 et une perspective de 800 Mds € de dépenses de défense sur 5 ans, dont un emprunt européen de 150 Mds €.

Le changement politique en Allemagne devrait permettre de relancer la capacité de proposition du tandem franco-allemand. Au-delà de l’Union européenne, une coalition se dessine pour garantir la sécurité de l’Ukraine, incluant notamment le Royaume-Uni, le Canada, l ’Australie, etc.. Les chefs d’états-majors d’une trentaine de pays viennent de se réunir à Paris.
La France aura un rôle spécifique, en raison de sa force de dissuasion nucléaire et de sa politique d’indépendance militaire, étant la seule en Europe à ne dépendre que marginalement de fournitures états-uniennes. Mais notre pays devra éviter d’y mettre son arrogance souvent décriée s’il veut rester crédible et consensuel. La Grande-Bretagne, autre puissance nucléaire européenne, a un rôle à jouer, bien qu’elle ne soit pas totalement autonome vis-à-vis des États-Unis.

Prochaines étapes
De nombreuses questions restent à résoudre :
– La dispersion des équipements, provenant encore majoritairement de l’autre côté de l’Atlantique et avec des spécifications propres à chaque pays, est à surmonter dès maintenant.
– Le développement d’une industrie de défense en Europe, aujourd’hui très fragmentée, exigera une grande cohésion entre les pays, avec un partage industriel équitable et assumé, et une indispensable préférence européenne dans les choix d’équipements.
-En l’absence de l’unanimité requise des Etats membres de l’Union européenne, le recours à une « coopération renforcée » telle que définie depuis le traité d’Amsterdam pourra être envisagée. La légitimité démocratique devra être assurée.
– Le périmètre géographique d’une organisation européenne de défense devra être défini : les seuls pays de l’UE ? les pays actuellement membres de l’OTAN, avec la constitution d’un pôle européen de l’OTAN ? ouvert à d’autres états hors de ces deux sphères ?
– L’articulation des responsabilités entre le niveau européen et les forces nationales, les formes de commandement, l’implication dans une coalition, la liaison avec l’OTAN, la prise en compte des forces nucléaires française et britannique, sont d’autres questions aux lourdes conséquences.

La machine est lancée ; cette perspective d’une organisation de défense européenne va devoir surmonter interrogations et obstacles. Cela prendra encore du temps, pour décider et pour mettre en œuvre, en surmontant les obstacles institutionnels liés à la règle d’unanimité, mais il y a urgence. Au- delà de la liberté de l’Ukraine c’est bien la défense de la paix et la stabilité de notre continent qui sont en jeu.

L’antenne de Lyon, 11 avril 2025

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