L’aventure récente des 4 spationautes « amateurs » partis à 500 km de la terre faire pendant 3 jours le tour de la Terre à 28 000 km/h semble avoir réellement inauguré, après plus d’une dizaine d’essais depuis 2001, le lancement du tourisme spatial. Elle a pourtant laissé dans bien des médias, européens surtout, un certain malaise.
En effet, alors que nous sommes péniblement en train de sortir d’une crise sanitaire ravageuse qui plonge ses racines dans notre manière d’habiter la Terre, nous avons assisté, étonnés et un peu effarés, à cette étrange aventure réservée à des passagers richissimes. Tout dans cette expédition est déraisonnable : le coût du billet tout d’abord, plus de 20 millions de dollars (il ne baisse pas, depuis près de 20 ans) la dépense énergétique, et enfin le manque de finalité sérieuse. Auparavant, avec le rail ou l’aviation, il s’agissait de relier un point de la Terre à un autre plus vite qu’auparavant. Ici on ne voit pas bien le but, sauf à s’imaginer exploiter d’autres planètes ou à adhérer à l’idée d’une évasion de notre Terre. Mais là aussi : on sait que la Lune est pauvre en ressources et on sait aussi que les autres planètes de notre système sont très lointaines (des mois de voyage), et très inhospitalières (trop chaudes ou trop froides). Quant à sortir de notre système solaire pour aller s’installer ailleurs, il y a un obstacle majeur : la distance. L’exoplanète habitable connue la plus proche est à une vingtaine d’années-lumière. Cela signifie qu’en y allant à une vitesse proche de celle de la lumière – ce qui est toujours de l’ordre de la science-fiction – il faudrait au moins 22 ans pour la rejoindre.
Reste donc le tourisme. C’est à dire la volonté d’aller voir ailleurs comment est le monde. Et ceci sans autre perspective que le « fun », la jubilation de pouvoir se dire : « Je l’ai fait » et … les photos ! Une perspective somme toute assez vaine au regard des investissements colossaux que l’entreprise représente. Et ceci sans bénéfice scientifique majeur. On en a mille fois moins appris en 20 ans de tourisme spatial qu’en 20 ans de conquête. D’où l’idée, soutenue par plusieurs scientifiques, de limiter et de réglementer ce « far space ».
Mais le tourisme représente non seulement une manière de vivre, de se représenter et d’exercer notre maîtrise sur le monde, il est aussi un acteur économique de tout premier plan. Au niveau international l’industrie touristique est en effet aujourd’hui le premier contributeur au PIB mondial, devant l’industrie automobile ou pétrolière. D’où l’urgence de s’interroger sur cette activité humaine qui a progressé de façon exponentielle depuis les années 50.
Reprenant une opposition familière à Jean-Paul II et qu’il appliquait alors au capitalisme (1) , nous pourrions dire : si, par tourisme, on entend la recherche gratuite et approfondie de la rencontre de l’Autre, qu’il s’agisse du Créateur, de la Nature ou des autres hommes dans un mouvement intérieur de reconnaissance, nous ne pouvons que l’encourager. Mais si, par tourisme, on entend le droit absolu à la disposition de l’argent accumulé et du temps libre dégagé par la productivité du travail pour aller le plus loin possible, emmagasiner des ‘souvenirs’ qui ne font que manifester l’étendue de notre pouvoir sur le monde sans aucune préoccupation sociale, économique et environnementale, alors nous devons condamner fermement ce concept et lutter contre.
« L’activité touristique devient en effet de plus en plus souvent, et malgré la bonne volonté des personnes, une activité d’auto-prédation de la nature et des cultures qui se condamne elle-même. »
Quoiqu’il en soit, nous sommes aujourd’hui au pied du mur : nous devons absolument réfléchir à nouveaux frais au concept de tourisme et à ses réalités, particulièrement le tourisme appliqué à l’espace, mais pas seulement. L’activité touristique devient en effet de plus en plus souvent, et malgré la bonne volonté des personnes, une activité d’auto-prédation de la nature et des cultures qui se condamne elle-même.
Jean Pierre Rosa, éditeur et ancien délégué général des Semaines sociales de France
1. Centesimus annus, 42.