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Faits marquants – « Il court, il court l’esprit européen »

Synthèse du vendredi après midi de la session 2004 des Semaines Sociales de France, « L’Europe, une société à inventer ».

Pour le 100e anniversaire des Semaines Sociales de France, Jacques Delors s’est exprimé sur les fondements de l’Europe et son avenir. Profitant de l’occasion, il a formulé certaines critiques envers des responsables politiques français et, plus largement, nationaux. Pour l’heure, les « pères fondateurs » n’ont plus – ou très peu – d’héritiers. Et de lancer que la zone de libre échange qui est l’ambition de certains Etats membres est « un concept simpliste pour un continent complexe ». A la même table se trouvait Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Grand Duché du Luxembourg et « élève » de l’ancien président de la Commission européenne. La verdeur de ses propos a renforcé la charge.

Dans une ambiance à la fois studieuse et décontractée, Jacques Delors a décrit une « Europe immuable et changeante ». Immuable, par sa philosophie fidèle à ses « pères fondateurs ». Changeante, par la manière de se construire. Les élargissements qui se sont succédés l’ont fait évoluer. Désormais, il y a toutefois un risque de voir la gouvernance de l’Europe fluctuer au gré des majorités démocratiquement élues au sein des Etats membres.

Certains auraient souhaité que l’Europe voie le jour par le biais politique, social et culturel. En réalité, elle a été créée sous l’impulsion « de l’engrenage économique » avec, d’abord, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Mais aujourd’hui, l’Europe sociale se construit progressivement et passe par la cohésion économique et sociale. Ainsi, le budget consacré à l’aide aux régions a été multiplié par sept en quinze ans. Toutefois, l’Union doit marcher de manière équilibrée sur ses jambes monétaire et économique, ce qui n’est pas le cas actuellement.

« Il faut dire ce qu’on va faire et faire ce qu’on a dit … »

Pour Jacques Delors, la subsidiarité est un principe fondamental qui « ne se résume pas à un garde-fou du Traité constitutionnel ». Et si l’Union a beaucoup de ressources, tout ne peut toutefois lui être demandé. Les citoyens ont aussi un grand rôle à jouer. Selon l’ancien président de l’exécutif européen, « nous vivons une époque de désenchantement démocratique, de crise du politique ». Et de lancer : « Pourquoi en attribuer la responsabilité à la seule Europe ?» Pour M. Delors, il n’y a pas de crise de l’enthousiasme citoyen, mais bien des politiques trop racoleuses, des effets d’annonce nationaux qui n’aboutissent à aucune réalisation concrète.

Pendant de nombreuses années, l’Europe a semblé éloignée des citoyens. Pour Jacques Delors, la monnaie unique est là pour prouver concrètement le contraire. En réalité, si l’Union a mauvaise presse dans les Etats membres, c’est à cause de la confusion qui y prévaut entre mondialisation et construction européenne. Et « les gouvernements se comportent envers les citoyens de manière infantile en disant que c’est la faute à Bruxelles ou qu’ils ont gagné ». L’avenir de l’Europe tiendra, selon l’ancien président de la Commission, dans l’invention d’une société politique, mais beaucoup de travail reste à faire sur ce plan : la création de « vrais » partis politiques européens est nécessaire.

Au passage, Jacques Delors en a profité pour critiquer vivement la position de Jean-Pierre Raffarin, défavorable à l’adhésion de la Turquie. Déclarer irrecevable le dossier de ce pays avant même d’avoir pris connaissance de l’avis que doit rendre la Commission discrédite la prétendue ouverture de l’Union. Y voyant une « forme de nationalisme implicite qu’il faut combattre », l’orateur a invité l’Europe à ne pas se refermer sur elle-même en apparaissant comme un club de chrétiens.

Pour faire avancer la machine « Europe », celui qui fut dix ans à la tête de la Commission a insisté sur la nécessité d’un traité constitutionnel qui garantisse des règles communes à tous les Etats membres. Le but ultime est de créer une société plurinationale, de construire une grande Europe, lieu de coopération, de dialogue et de solidarité. Dans cet esprit européen, la compétition entre les agents économiques doit s’exercer. En revanche, les Etats membres ne peuvent entrer en concurrence, faute de prendre le risque de déséquilibrer l’Union. Tout au contraire, il faut un dialogue social à l’échelle européenne car on ne peut faire « comme s’il n’y avait pas d’intermédiaire entre le gouvernement et la société ».

Jean-Claude Juncker a amplifié la vision delorienne. Selon lui, l’accent est trop souvent mis sur les aspects contraignants de l’Europe, au détriment des bonnes applications qui restent ignorées du public. L’engouement des citoyens pour l’Union s’en ressent. Fier de sa qualité d’Européen et des réalisations de l’Union, « Monsieur Euro » a dénoncé le fléau du chômage et préconisé un minimum social pour tous, adapté à la réalité de chacun des Etats membres. « Il y a vingt millions de chômeurs en Europe. C’est le 26 ème Etat membre. Qui le représente ? », a-t-il lancé. A ses yeux, une « meilleure coordination des politiques économiques » est indispensable, tant il est vrai que « les économies nationales n’existent plus ».

En guise de conclusion, le prochain président du Conseil européen a indiqué qu’il ne conviendrait pas de remplacer les « égoïsmes nationaux par un égoïsme européen » : l’Europe a, pour lui, le devoir de se préoccuper plus que jamais des continents où il faut « éradiquer la faim ».

Marjolaine Macaire et Clarisse Serignat

L’Européenne de Bruxelles

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