Dossier Europe

Déclaration du Pen Club polonais

22 février 2021

La liberté d’expression et de pensée – des droits de l’homme et du citoyen fondamentaux – est aujourd’hui menacée de facto en Pologne par une censure politique et idéologique.

Depuis longtemps déjà, cette liberté était limitée par la méthode des petits pas : journalistes, fonctionnaires, militants ou enseignants prédisposés à se soumettre à une pression, ont été formés pour devenir de dociles censeurs… Dernièrement, un exemple spectaculaire d’une telle attitude a été la révocation, pour des raisons politiques, de l’exposition des travaux de Chris Niedenthal, photographe de renom mondial, dans la galerie des écoles d’arts plastiques de Rzeszów. La censure est de retour, éliminant individus et noms – l’histoire de la suppression de la chaine III de la Radio polonaise démontre manifestement ce dont elle est capable, sans oublier de nombreux cas antérieurs. Est également de retour la déformation, par le truchement de la censure, de l’image de la réalité, devenue l’objet de propagande et d’idéologie.

Des concepts opaques d’insulte des sentiments religieux et de la nation polonaise sont utilisés comme instruments d’une censure idéologique au cours de procédures, enquêtes, procès civils et pénaux toujours plus fréquents. Ces concepts, et les sanctions pénales qui vont avec, doivent être immédiatement éliminés des Codes civil et pénal et de la pratique judiciaire. Non contents d’être opaques, ils sont appliqués sélectivement, tandis que les mises en cause revêtent elles-mêmes, le plus souvent, le caractère d’insinuations et de diffamation. La présence de tels articles dans les Codes impose aux procureurs et magistrats des obligations d’agents de la propagande.

La participation de Reduta Dobrego Imienia (Le Fort de la Bonne réputation, formellement une fondation, mais dans sa direction et ses finances une antenne idéologique de PiS et du gouvernement) au procès des professeurs Barbara Engelking et Jan Grabowski change le caractère du procès civil introduit, en apparence sous forme d’une action privée, contre des chercheurs s’occupant de l’histoire de la Shoah par l’héritière d’un des protagonistes malfaisants de leur monographie. Aux côtés des hommes politiques de droite et de journalistes, au conseil d’administration de cet organisme, siège également un artiste de cabaret, jusqu’à il y a peu directeur de la télévision publique, qui s’est rendu célèbre en racontant à l’antenne une « blague » sur le génocide : les camps d’extermination – a-t-il déclaré – on peut les appeler juifs, on sait bien qui assurait le service des fours crématoires. Ainsi pourvue, cette institution sert à faire des procès aux historiens de la Shoah. Dans cette provocation, qui n’est pas la première du genre, il ne s’agit point de la vérité historique sur la Shoah, mais de la mythomanie nationale. C’est bel et bien la défense de la fiction et non pas de la « bonne réputation » de la Pologne, pays que cette attaque déshonore et ridiculise.

Des décisions administratives, non seulement dans le domaine de la science, mais aussi de l’éducation, ont un caractère analogue. Le ministre de l’éducation – qui, avant sa nomination à ce poste, a fait des vagues en parlant d’« idiotisme de ce qu’on appelle les droits de l’homme » – a ordonné une vérification idéologique des programmes et des institutions du secteur de l’éducation. Ses propos donnent une idée de l’importance de la purge entreprise à une si grande échelle.

L’attaque par la fiscalité contre les médias indépendants du pouvoir et ainsi sur les bases financières de leur indépendance, revêt aussi le même caractère de censure. Une autre forme d’attaque dirigée contre l’indépendance des médias est leur rachat, sous le couvert de « repolonisation », par de grands groupes étatiques. Dans ces cas-là, il s’agit de monopoliser la création d’une image idéologique de la réalité, donc du monopole d’appropriation de la réalité. Les médias publics déjà monopolisés sont là pour démontrer comment, par le biais de fantasmagories de propagande, remplacer le monde réel.

Il est de coutume de passer de la méthode des petits pas à une attaque tous azimuts contre la liberté d’expression et de pensée. Nous ne pouvons pas laisser dilapider la liberté. Elle est non seulement un droit, mais l’attribut de l’homme.

Déclaration transmise par Henryk Wozniakowski, représentant polonais à IXE.

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