Dossier Europe

L’Ukraine et l’Union européenne

Le 28 février 2022, 4 jours après le début de l’invasion russe, le président Volodomyr Zelensky a demandé officiellement l’adhésion « sans délai » via une « procédure spéciale », de l’Ukraine à l’Union européenne. La demande, qui a eu un fort retentissement, a semblé à la fois légitime et excessive. Elle est pourtant largement fondée. L’histoire des relations entre l’Ukraine est l’UE est en effet déjà longue. Elle commence avec la naissance de l’Ukraine comme pays moderne et indépendant en 1991 consécutive à la dislocation de l’Union soviétique. Dès le début en effet, la question se pose pour l’Ukraine de son alliance. Va-t-elle répondre aux propositions russes d’espace eurasien ou va-t-elle se tourner vers l’Europe ? Le choix européen est immédiat du coté ukrainien mais pas du côté européen où l’on souhaite « ménager » Moscou. Les négociations sont longues. Elles aboutissent à la signature en 1994 d’un accord de coopération et de partenariat, entré en vigueur en 1998 et qui a pour objectif de favoriser la coopération dans les domaines économiques, financiers, culturels, de soutenir la consolidation démocratique et la transition économique en vue d’une adhésion à l’UE.

Les décennies qui suivent sont marquées par des pressions constantes de la Russie sur l’Ukraine pour qu’elle rentre dans le giron de la Fédération. Manipulations d’élections, intimidation, corruption, rupture d’approvisionnement en gaz russe par Gazprom, tous les moyens sont bons pour décourager l’option européenne et dresser les ukrainiens de l’Est de l’Ukraine (russophones) contre ceux de l’Ouest.

Malgré tout, en 2013, un accord d’association est en passe d’être signé entre l’UE et l’Ukraine. C’est en raison d’un revirement pro-russe du gouvernement ukrainien obtenu par la menace que les manifestants de la place Maidan se lèvent et font reculer le pouvoir. La Russie réagit en annexant militairement la Crimée et une partie des provinces de l’Est (Donbass, Donetsk) en 2014. L’accord de 2013 est cependant signé en 2017.

Or cet accord entérine très officiellement, pour l’UE, la volonté d’entrer dans l’Europe sans toutefois lui donner le statut de « candidat ». La prochaine étape est l’acceptation de la candidature. Nous y sommes. Il faut, ensuite, encore du temps pour boucler le processus d’adhésion qui comprend de multiples ajustements économiques, financiers, administratifs et légaux (des milliers de pages au J.O de l’Union) afin que l’état ukrainien corresponde aux standards européens.

Mais combien de temps ? Certains autres pays, comme la Hongrie ou la Pologne, n’ont mis que 10 ans pour entrer dans l’Union à compter de leur toute première démarche. Pour l’Ukraine, si on compte la période longue – mais qui est difficilement comparable juridiquement – cela fait au moins 20 ans !

Bien sûr, il y a la corruption qui ronge le pays et qui est plus forte que dans n’importe quel autre pays européen, ce qui inquiète les européens douchés par le précédent grec, mais faut-il vraiment, comme Emmanuel Macron l’a fait, brandir la perspective de « décennies » avant l’entrée officielle ? Certes l’Ukraine est un pays en guerre, donc peu stable politiquement et économiquement. Mais c’est justement, pour Zelensky, parce que c’est un pays en guerre « pour l’Europe » qu’il invite à aller vite et à imaginer une procédure « spéciale » – qui resterait à créer.

Quoi qu’il en soit, il faut faire remarquer que les Ukrainiens ont déjà largement tiré parti de leur accord d’association qui leur a permis d’accéder au marché intérieur européen. Ils ont adopté des normes industrielles rendant leurs industries compétitives et les conduisant à exporter largement en Europe. Voilà sans doute aussi pourquoi les Ukrainiens semblent mieux maîtriser que les Russes un certain nombre de technologies industrielles ou cyber.

La proposition – française – d’une « Communauté politique européenne », plus souple, permettrait d’offrir des garanties – et des aides, à la fois techniques et financières – non seulement à l’Ukraine mais aussi à la Géorgie, la Moldavie, ainsi qu’à tous les autres pays qui attendent leur adhésion (six pays des Balkans). Cela permettrait aussi de fournir une porte d’entrée à des pays sortants ou non adhérents comme la Grande-Bretagne ou la Norvège, et de tester une formule qui pourrait être adaptée aux pays de la rive sud de la Méditerranée. Peut-être cette proposition permettrait-elle aussi d’éviter une Europe à 36 qui deviendrait ingérable ! Une proposition qui n’aurait pas à passer par les fourches caudines de l’unanimité européenne pour être mise en place.

Sans doute faut-il essayer les deux voies, celle de l’adhésion – plus ou moins « accélérée » – et celle de la Communauté politique européenne. En faisant tout pour que les Ukrainiens, qui paient cher la volonté d’être européens, puissent le devenir le plus vite possible.

Jean-Pierre Rosa, éditeur et ancien délégué général des Semaines sociales de France

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