Les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’élection présidentielle interpellent le démocrate et le chrétien que je suis sur deux points névralgiques, que je propose à la réflexion critique de chacune et de chacun.
Ma première observation est que la démocratie n’est plus bien aimée par beaucoup de nos concitoyens. Ce désamour démocratique s’exprime surtout par une hausse obstinée de l’abstention. Cette désaffection électorale n’est pas un phénomène récent, mais elle ne cesse de s’accentuer. Aux élections municipales et communautaires de 2020, maintenues durant la pandémie du coronavirus, l’abstention avait atteint le pic record de 58,4%. Le second tour de l’élection présidentielle a été marqué par une abstention de 28%: un taux important pour l’élection majeure de la Cinquième république.
Ce boycott électoral a de multiples raisons qui mériteraient plus d’explications… Je signalerais seulement un facteur probable du grand malaise démocratique que nous connaissons: il s’agit de la désinformation, de la manipulation et de la confusion « populiste » orchestrées à grande échelle par les réseaux sociaux: non contents d’influer sur l’esprit public, ils déteignent leurs comportements et leurs « humeurs » sur d’autres médias qui du coup n’assument plus avec la rigueur et l’honnêteté requises leur mission d’informateurs et d’éclaireurs civiques.
Barack Obama, qui reconnaît avoir utilisé les réseaux sociaux pour conquérir la Maison-Blanche, les accuse maintenant d’amplifier « les pires instincts de l’humanité… L’affaiblissement des démocraties tient au profond changement dans nos façons de communiquer et de nous informer ». La campagne présidentielle française a vérifié à maints égards l’avertissement lancé par l’ancien président américain.
Ma seconde réflexion porte sur le vote des catholiques au premier tour de cette élection. Et d’abord sur les 40% de ces électeurs qui ont donné leurs voix à des candidats d’extrême droite. Les plus observants ont voté pour eux. L’ensemble des catholiques s’est prononcé en leur faveur plus que la moyenne des Français. À première vue, ces catholiques écoutent plus leurs discours néo-maurassiens que l’enseignement du pape François, « le pape des migrants » décrié par Matteo Salvini, homologue de Marine Le Pen en Italie. Ce sont souvent les mêmes catholiques qui refusent de tirer des leçons de la crise des abus, de s’impliquer dans la démarche synodale et qui absolutisent les enjeux bioéthiques dans la société et liturgiques dans l’Église.
Et les 60% de catholiques restants? Une moitié ou presque (29%) s’est portée sur le projet centriste d’Emmanuel Macron. L’autre moitié se répartit entre divers candidats de la droite à l’extrême-gauche où Jean-Luc Mélenchon « se taille la part du lion » en recueillant près de la moitié des suffrages (14%). Cet électorat catholique est plus éclectique que l’autre. Il a toutefois quelques caractéristiques communes: d’abord, sa relativisation du culte et de la doctrine ne l’insensibilise pas, au contraire, aux messages écologiques et solidaires du pape François; ensuite son rapport détendu à la laïcité et à la modernité n’entrave pas sa liberté de conscience.
Quelles conclusions tirer de ce bref tableau de fin de campagne présidentielle? La fracturation politique du catholicisme français reflète celle du pays. Elle sera probablement durable et complexe à juguler. Mais ce qui interpelle aussi vivement le démocrate et le chrétien c’est qu’elle puisse hypothéquer l’efficience d’une composante catholique, déjà en voie de diminution et d’effacement, dans une société démocratique et pluraliste. Face aux risques de radicalisations, de confrontations et de divisions internes, tant dans l’Eglise catholique que dans la société politique, il est à espérer que se lèvent des catholiques pour faciliter le dialogue entre des hommes et des femmes qui ont perdu le sens du Bien commun pour cheminer ensemble avec leurs différences et leurs divergences.
Il y va de l’utilité du témoignage d’une communauté chrétienne dans le monde actuel. Il y va de l’efficacité citoyenne des chrétiens dans notre société qui a grand besoin d’inventer de nouveaux espaces de dialogue.
Michel Cool, journaliste, éditeur, écrivain, Administrateur des Semaines sociales de France
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