Dossier Europe

Introduction de la session 1996

Introduction donnée lors de la session 1996 des Semaines sociales de France, « Entre mondialisation et nations, quelle Europe ? »

Jean BOISSONNAT, président des Semaines sociales de France

Bienvenue à vous tous qui venez de plus en plus nombreux aux sessions des Semaines sociales de France. Nous serons 1 500 cette semaine, record absolu depuis la reprise de 1987. Cette 7Ic session consacrée au thème «Entre mondialisation et nations, quelle Europe ? » constitue une date importante dans l’histoire de notre institution : pour la première fois depuis un quart de siècle, nous reprenons le rythme annuel de nos sessions lesquelles se déroulaient tous les deux ans depuis 1987. C’était, je vous le rappelle, l’un des objectifs que nous nous étions fixés, l’an passé, dans le programme pour un nouvel élan des Semaines sociales. Ces choses-là ne se font pas toutes seules, et je remercie tous ceux qui, par leur action et par leur aide, nous ont permis d’atteindre cet objectif; je les invite à nous garder leur soutien et j’invite tous ceux qui le peuvent à nous rejoindre car ce nouveau rythme impose des efforts de longue durée et des moyens accrus. Je pense, en particulier, à nos amis de province qui pourraient nous aider à constituer dans toute la France des groupes d’amis des Semaines sociales — comme il en existe déjà dans plusieurs capitales régionales comme Lyon et Lille. Ils peuvent éventuellement profiter de la présente session pour prendre un premier contact avec notre nouveau délégué général François Desouches que vous pourrez joindre par l’intermédiaire de notre secrétariat installé dans le hall. Je pense aussi à tous ceux qui souhaitent nous aider davantage, sans disposer de beaucoup de temps, par exemple au moyen d’une contribution de soutien ; à leur intention nous avons ouvert dans le hall un stand spécial sous l’appellation «Mille amis». Ils recevront régulièrement la Lettre d’information des Semaines sociales, autre objectif du programme «Nouvel élan des Semaines sociales», que nous sommes heureux d’avoir pu réaliser dès cette année, puisque nous en sommes à son quatrième numéro (elle paraît chaque trimestre). Je rap-pelle aussi que nous avons publié le compte rendu intégral de la précédente session Une idée neuve, la famille ; l’ouvrage est disponible à la librairie installée ici même, dans une salle voisine.

Ce nouveau rythme et ce nouvel élan nous imposent de travailler en parallèle sur plusieurs thèmes de session. D’ores et déjà je peux VOUS annoncer que le thème de la 72e session des Semaines sociales, qui se tiendra ici même, dans ce très beau Palais des arts et des congrès d’Issy, portera sur « Quelle société multiculturelle pour la France ?» (titre provisoire). Nous y traiterons des problèmes de l’immigration dans notre pays. Nous en mesurons chaque jour davantage l’urgence, l’importance, les difficultés et — peut-être pas toujours suffisamment — les espoirs. Cette session se déroulera du vendredi 21 au dimanche 23 novembre 1997. Nous avons déjà quelques idées sur les thèmes des sessions suivantes, mais, avant d’arrêter celui de 1998, nous avons besoin de connaître votre sentiment : merci de répondre précisément au questionnaire qui vous a été remis avec votre dossier. C’est une contribution extrêmement utile aux travaux des organes responsables des Semaines sociales.

Comme vous le voyez, nous ne sommes pas inactifs dans l’intervalle des sessions. Nous avons conscience de répondre à une attente des Français, des chrétiens et de l’Église, dans cette période de fin de siècle qui, Dieu merci, n’est pas la fin du monde malgré le poids de nos soucis, mais potinait bien apparaître rétrospectivement comme la fin d’un monde. Il suffit de relire l’intitulé de la présente session pour nous en convaincre : «Entre mondialisation et nations, quelle Europe?»

Mondialisation, nation, Europe trois mots symboles de notre temps; trois mots chargés d’émotion. Une émotion qui a beaucoup évolué dans la période récente, en France : pendant de nombreuses années, après la guerre, c’est la nation — derrière laquelle on voyait le spectre du nationalisme — qui était chargée d’émotion négative ; et l’Europe qui bénéficiait d’une émotion positive entraînant avec elle une mondialisation qui n’était encore qu’un rêve, celui d’une planète qui finirait bien — un jour, mais quand? — par se réconcilier entre l’Est et l’Ouest et par accueillir à sa table tous les peuples affamés du tiers monde.

Aujourd’hui ces émotions positives ont tendance à changer de signe, pour devenir négatives. La mondialisation est volontiers diabolisée; on y voit la cupidité des golden boys jouant des milliards de dollars au casino monétaire international et l’agressivité de masses asiatiques chassant l’emploi de nos vieilles terres industrielles, avec leurs pro-duits bon marché. L’Europe se culpabilise et se demande si elle n’a pas été, en fin de compte, le cheval de Troie d’un libre-échangisme débridé au lieu de construire un modèle social qui est tombé en panne d’emploi : il y a 18 millions de chômeurs, aujourd’hui, sur le territoire de l’Union européenne. Du coup, la nation retrouve une charge émotionnelle positive ; on lui demande aide et protection contre ces agressions et ces déceptions.

Notre session vise à prendre en compte ces transformations et à provoquer une réflexion plus ordonnée sur des sujets qui engagent, pour longtemps, notre avenir. Saint-Exupéry nous a prévenus : «L’avenir n’est jamais que du présent mis en ordre. Il s’agit moins de le prévoir que de le permettre.» C’est dans cet esprit que nous engageons nos travaux sur un sujet que les Semaines sociales n’ont pas traité depuis 1962. À l’époque, la construction européenne rencontrait un assez large consensus, encore que nos prédécesseurs pouvaient écrire dans les conclusions de la session «Jusqu’à présent, la construction de l’Europe a été l’œuvre de la force des choses et des volontés de quelques pionniers plutôt que celle de tous les Européens, appelés à devenir des citoyens conscients et actifs de l’Europe. On peut déplorer une certaine indifférence, un certain retard de l’opinion sur les réalités.» Dans le même texte on pouvait lire que l’Europe « ne saurait être simplement une Europe des affaires… L’Europe doit être une Europe sociale, tendue vers la justice et le progrès humain.» Comme quoi faut nous garder d’enjoliver le passé et donc de trop noircir le présent. Les questions qui se posent à nous aujourd’hui ne sont pas le fait d’une dégradation d’un passé glorieux, mais plutôt le signe qu’à l’échelle de l’histoire trois décennies c’est peu : l’ouvrage est toujours sur le métier.

Ce qui change, ce sont les conditions dans lesquelles il faut désormais le faire avancer. On ne fait plus l’Europe pour réconcilier Français et Allemands ; c’est acquis, même s’il faut toujours consolider la fraternité entre les peuples. On ne la fait plus pour protéger les libertés occidentales du totalitarisme soviétique. Le mur de Berlin est tombé, si l’on peut dire, du bon côté.

Nous voilà donc, Européens, contraints par l’histoire de donner un nouveau contenu à notre marche vers une plus grande unité. Entre ces deux mouvements qui peuvent paraître antagonistes, la mondialisation économique d’un côté et la fragmentation politique de notre planète de l’autre (50 États souverains à la fin de la guerre ; près de 200 aujourd’hui), l’Europe est-elle capable d’inventer une nouvelle forme d’organisation politique susceptible de surmonter cette contradiction, pour elle-même et pour d’autres continents? A-t-elle un message à adresser au reste du monde? Est-elle une société consciente de ses valeurs communes ? Formidables défis lancés à des populations vieillies (au milieu du siècle prochain, en France, la moitié des votants aux élections auront plus de 60 ans), pour une part comblées de richesses, pour une autre frappées par le chômage.

C’est ce que nous allons analyser et ce dont nous allons débattre, pendant trois jours, à la lumière de notre foi, avec des intervenants d’une exceptionnelle qualité et avec vous, toujours plus nombreux et, je le souhaite, toujours plus actifs. D’autres familles d’esprit s’y emploient de leur côté. Votre connaissance de ces questions, les convictions que vous vous formerez, les actions — même modestes — que vous mènerez à leur propos, pèseront dans l’histoire du prochain siècle. Ne sous-estimez pas le poids du levain dans la pâte.

15 novembre 1996

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