Dossier La Tribune du Christianisme social

La tribune : Indice de Position social, un outil contestable et critiquable

C’est en 2022, sur décision du Tribunal Administratif, que l’Éducation Nationale est contrainte, par voie de justice, de publier les fameux indices de position sociale (IPS), indicateur calculé pour chaque établissement scolaire. L’affaire fait grand bruit car on apprend que la volonté de cacher est réelle et ancienne mais cette polémique est vite couverte par une autre musique : les IPS seraient en effet censés révéler la part prépondérante prise par le privé sous contrat dans la ségrégation sociale à l’école. Mais revenons à l’affaire initiale : A quoi servent les IPS ? Comment ont-ils été construits ? Pourquoi ont-ils été cachés et maintenant … que faire ?

Il y a des décennies que le ministère s’appuie sur les catégories socio-professionnelles (CSP) des parents pour mener des comparaisons entre élèves et établissements. Tout repose sur l’idée qu’il y a une corrélation, vérifiable statistiquement, entre les CSP des parents et la réussite des élèves. Cette idée simple n’est pas remise en cause par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’Éducation Nationale, mais elle doit être statistiquement quantifiée et vérifiée. Surtout, elle irrite car s’il y a corrélation elle n’est qu’indirecte. En effet « Le fait d’avoir un père cadre ne procure pas en soi un avantage, en termes scolaires, par rapport au fait d’avoir un père ouvrier. La catégorie sociale est en réalité le reflet de capitaux (économiques, éducatifs, culturels), de pratiques et d’attitudes qui tendent à plus ou moins favoriser les conditions d’apprentissage, la réussite scolaire, etc. » La DEPP va donc se servir de 6 critères censés être plus objectifs pour rééquilibrer et qualifier le CSP car ils concernent directement le cadre éducatif de l’enfant. Ce sont les diplômes des parents, les conditions matérielles du foyer, la composition familiale, le capital culturel, le niveau d’ambition et d’implication des parents et les pratiques culturelles de la famille et de l’élève.

A partir de cohortes suffisamment nombreuses, la DEPP a donc poursuivi son travail mais… en secret pendant des années. Les premiers travaux datent des années 2007/2010 pour aboutir en 2016 à un travail exhaustif.

Mais les IPS ne servent pas qu’à réfléchir et évaluer : ils sont directement opérationnels et permettent de fermer ou d’ouvrir des classes, de distribuer des bonus et d’établir la carte scolaire.

Quelle mouche a donc piqué la vénérable institution pour manquer ainsi à son devoir de transparence ? Il y a sans doute à cela plusieurs raisons. La première – invoquée par le ministère lui-même – tient aux effets pervers de ce genre de classification qui permet à tout un chacun de savoir, aux yeux de l’institution elle-même, quels sont les « bons » établissements – et les « mauvais » ce qui conduit à des tentatives de contournement de la carte scolaire déjà bien malmenée par les familles.

La seconde, plus grave, tient sans doute à l’utilisation massive et généralisée de renseignements relevant de la vie privée des familles : combien de pièces y a-t-il dans l’appartement de la famille ? L’écolier a-t-il une chambre où il est seul ? Comment est composée la famille ? Est-elle ou non monoparentale ? Y a-t-il des frères et sœurs ? Quelles sont les professions respectives des deux parents et plus précisément du père et de la mère ? Y a-t-il une télévision familiale ou pas ? Combien de temps l’enfant passe-t-il devant l’écran, la famille a-t-elle un ordinateur ? Quelles sont les ambitions des parents pour leurs enfants, comment s’y impliquent-ils ? Quels sports ou activités « culturelle » y pratique-t-on etc. Que ces données très privées aient été utilisées pour chaque enfant scolarisé, pour chaque classe, chaque établissement, sur toute la France, systématiquement, et cela dans le plus grand secret pendant six, ans est extrêmement choquant !

Mais ce qui est aussi troublant dans l’affaire, c’est que la construction de ce fameux indice souffre de partis pris discutables – qui traduisent ceux de l’institution – et renforcent son « endogénéité » comme l’explique avec une franchise étonnante la note de méthodologie produite par le ministère.

Commençons par les parti pris : pour déterminer les « pratiques culturelles », les critères retenus sont : la pratique sportive, les concerts, le théâtre, le cinéma et les musées ! Bref, mis à part l’incontournable sport, une culture très classique, patrimoniale et passive. Et pourquoi pas la pratique de la musique ou du chant, les voyages, les promenades, la photo, la danse ou la pratique de plusieurs langues ? Cela donnerait un tout autre visage à la « culture ».

Nous pouvons continuer par les diplômes des parents. Bien évidemment, avoir des diplômes est en grande partie le but de l’école mais est-ce vraiment un gage de sa réussite ? Obtenir des diplômes est une chose, acquérir une compétence sociale utilisée dans un métier en est une autre. Retenons enfin le critère – en grande partie flou – de l’ambition et de l’implication des parents dans les études et la réussite de leur enfant. Bien évidemment ce dernier critère, lui aussi très fortement « endogénique », donne des points à tous ceux qui « choisissent » l’école de leur enfant par le choix du privé d’un côté ou le contournement de la carte scolaire de l’autre. Un critère qui tend, bien évidemment, à stigmatiser le « privé » – et la boucle est bouclée !

En fin de compte ce fameux indice – qui s’appuie sur les CSP et est censé expliciter, moduler et quantifier leur influence – s’avère poser plus de problèmes qu’il n’en résout. Pourquoi donc avoir laissé pendant des années la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’Éducation Nationale travailler en totale autonomie sans aucune concertation d’aucune sorte avec qui que ce soit, notamment avec les enseignants et les parents, bien au contraire ! Ces échanges seraient pourtant essentiels pour ce travail surtout lorsqu’il s’avère que le fameux indice a une influence opérationnelle directe sur la vie de l’école. Impliquer les parties-prenantes, toutes les parties-prenantes, dès le stade de la réflexion est une exigence de transparence, mais aussi un gage de confiance et d’efficacité.

Jean-Pierre ROSA

Ancien délégué général des Semaines sociales de France

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