Dossier La Tribune du Christianisme social

Tribune : « D’autres colères derrière la colère agricole »

colere agricole

Le dérèglement climatique affecte directement les agriculteurs : que la révolte soit partie de l’Occitanie, particulièrement touchée par les sécheresses, n’est pas un hasard. Les transitions à mener pour que nos modèles de production – agricoles ou industriels – permettent de réduire les émissions carbone, de protéger la biodiversité, de mieux respecter l’environnement sont à la fois absolument nécessaires et douloureuses. Elles le sont pour eux ; elles le seront pour tous. Au fond, la colère du monde agricole se trouve au carrefour de plusieurs fractures qui traversent notre société et celles de nos voisins européens.

La souffrance matérielle peut s’accompagner d’un mal-être psychologique : les agriculteurs se sentent mis en accusation, alors qu’ils ont une vision noble de leur métier qui permet de nourrir leurs concitoyens et estiment connaître la nature, parfois mieux que certains de leurs contempteurs. A l’inverse, à raison, les militants écologistes trouvent la mansuétude des autorités à l’égard des dégradations commises par les manifestants bien plus grande que quand il s’agit de leurs propres actions. On retrouve là une bipolarisation qui met du sel sur les plaies et rend difficiles les compromis dont devrait vivre toute démocratie, l’enjeu étant de ne renoncer ni à la sécurité alimentaire ni à la conversion écologique.

En outre, cette crise s’inscrit dans les difficultés globales du monde rural, délaissé, selon ses habitants, par les pouvoirs publics, par le monde médiatique, par Paris ! Les Gilets jaunes, déjà, les clamaient. Quand se conjuguent les difficultés de transport, les déserts médicaux, la fermeture d’écoles ou de commerces, et pour certains la solitude, la coupe du ressentiment déborde.

Les inégalités et les difficultés à boucler les fins de mois se trouvent également dénoncées par les manifestants. Des inégalités qui traversent le monde agricole lui-même : certains s’en sortent mieux que d’autres, ce que l’on ne souligne pas assez sans doute. Une inégalité pesée à l’aune des exigences du travail paysan : des horaires lourds, de la difficulté de prendre des vacances, des incertitudes météorologiques …

Le rapport à l’Europe, n’est pas en soi remis en cause puisque la PAC assure une bonne partie des revenus des agriculteurs et que les normes qu’elle impose à tous – auxquelles la France rajoute parfois ses propres normes – sont nécessaires à l’harmonisation des conditions de concurrence entre agriculteurs européens. Mais sont contestées certaines évolutions (les surfaces à laisser en jachère, l’interdiction de produits phytosanitaires…) et des accords de libre échange qui permettent une concurrence jugée déloyale quand les produits importés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes environnementales. Selon le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat rendu public le 25 janvier, près de 50% des émissions de gaz à effet de serre de notre système alimentaire sont issues de ces produits importés. Nul doute qu’à l’approche des élections européennes, certains courants politiques hostiles à l’Union européenne surfent avec délectation sur le mouvement de contestation actuel.

Enfin, si les responsables politiques, les entreprises (notamment de l’agroalimentaire ou les distributeurs) doivent être en première ligne des efforts à consentir, chaque citoyen doit s’interroger sur ses propres comportements et ses choix alimentaires. Pour accepter – certains le peuvent – de payer le juste prix des produits qu’ils consomment.

Dominique Quinio

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