Dossier La Tribune du Christianisme social

La tribune : Racisme et travail de mémoire

Quand, dans les discours publics, on change de mot pour désigner un même concept, cela a du sens. N’a-t-on pas remarqué que l’on est passé de la nécessité de la distanciation « sociale » à l’importance de la distanciation « spatiale » pour faire barrage au virus ? On a pris conscience de la gravité d’appeler à une distanciation sociale dans un pays déjà tellement fracturé, d’autant que le confinement puis le déconfinement ont mis l’accent sur les fêlures et les inégalités.

Réveillée par l’actualité aux Etats-Unis autour de la mort d’un homme noir, George Floyd, et des méthodes de la police, la fracture ethnique s’est également embrasée en France, à partir d’accusations de violences policières, mais aussi en raison des difficultés d’accès au travail ou au logement. Des manifestations ont eu lieu, rassemblant surtout des jeunes, parfois accompagnées d’actes de vandalisme sur des statues représentant des personnages ayant porté, selon ces militants, la responsabilité de l’esclavage ou du colonialisme.

Longtemps, pour évoquer les pages noires de nos histoires, on a recommandé le « devoir de mémoire ».

En effet, dans nombre de pays, les plaies non débridées se sont infectées, empêchant toute démarche de réconciliation. Aujourd’hui, pourtant, les historiens préfèrent parler de « travail de mémoire ». Travail plutôt que devoir. Il ne suffit pas en effet de dénoncer et de se souvenir, ni même de se repentir, si l’on n’a pas fait l’effort de comprendre (comprendre ne signifie pas excuser), de replacer les faits dans un contexte, de remonter le cours des choses sans anachronisme et de l’expliquer, d’en montrer toutes les facettes.

La commission consultative des droits de l’homme dans son rapport rendu ce mois-ci a voulu faire un focus sur le racisme anti- noir, relevant un paradoxe : alors que les populations noires, avec les personnes juives, semblent les mieux acceptées en France, elles sont, dit le rapport, notamment sur les réseaux sociaux ou dans les stades, les plus haineusement discriminées. Selon l’enquête Trajectoires et origines (TeO) qui porte sur les descendants d’immigrés installés en France, « les descendants subsahariens ont 1,3 fois plus de risque de subir des traitements inégalitaires que la population majoritaire ».

Des mesures concrètes contre les discriminations, les violences, les injustices sont donc indispensables. Mais l’éducation est aussi une nécessité. A l’école, la question noire n’est vue qu’à travers l’esclavage ou la colonisation, ne parlant finalement des Noirs que dans leurs rapports avec les Blancs. La civilisation noire, les richesses de cette culture, bien en amont de ces moments historiques particuliers, sont passées sous silence. Beaucoup plus efficace que le déboulonnage de statues, le fait de débaptiser des rues ou de renoncer à diffuser « Autant en emporte le vent », il convient d’informer, d’établir les responsabilités exactes pour, éventuellement, retirer de l’espace public celui qui ne mériterait pas cet honneur. N’est-ce pas, aussi, un avertissement ? Avant de désigner des « héros » méritant d’être statufiés, prenons le temps de mesurer leurs parts d’ombre, car l’exercice du pouvoir peut mettre à mal les principes les plus assurés.

Ces appels à ne jamais accepter le racisme, à reconnaître l’égale dignité de tous les hommes, soulignent l’importance de reconnaître les racines, toutes les racines de tous les citoyens de notre pays. Sans en rester là.

Pour, ensemble, à partir de cet humus, écrire l’histoire d’aujourd’hui et celle de demain.

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Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France

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