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Dossier La Tribune du Christianisme social
Nous voici tout juste entrés en Carême. Nous voici appelés à faire un chemin de conversion. La matière de cette conversion peut-être multiple et dépend de chacune de nos existences, de nos parcours de vie. Même si, in fine, l’objectif final, c’est bien de tenter de répondre à l’appel, autrement dit de répondre à quelqu’un, à ce Dieu qui nous dit toujours son désir de Vie pour nous.
Je ne sais pas quel est le chemin de Carême qui occupera ces 40 jours à venir pour vous. Mais ces derniers temps, j’ai rencontré pas mal de chrétiens et de chrétiennes qui avaient le désir d’en faire un chemin de conversion écologique, au sens proposé par le Pape François dans Laudato si’ : « Ils ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne. » (LS 217).
Or quelques jours avant le début de ce Carême, je suis tombé un peu au hasard, ou sans doute par la main cachée des algorithmes des réseaux, sur cette initiative : « Notre maison commune, un guide pour prendre soin de notre planète ». Je m’en suis beaucoup réjoui. Parce que son contenu est de qualité et que ce pourrait être un bel outil à proposer dans les réseaux ecclésiaux où j’œuvre. Mais surtout car cette publication conjointe du Saint-Siège et de l’Institut de Stockholm pour l’Environnement me semble un beau signal qu’ au niveau structure justement, l’Église continue à œuvrer dans le sens de l’Esprit qui traversait Laudato si’. En particulier par le cadre que cette initiative propose. Et par la méthode qui la sous-tend.
Le cadre d’abord. Il propose d’analyser l’état de notre planète en suivant l’approche des 9 limites planétaires définies depuis 2009 par le Stockholm Resilience Centre (SRC). A travers ce travail interdisciplinaire innovant, les scientifiques du SRC cherchaient à identifier quels étaient les paramètres qui assuraient la stabilité du régime du système Terre que notre humanité connaît depuis 10.000 ans et le développement de l’agriculture puis des « grandes » civilisations. Ensuite ces équipes de chercheurs ont identifié les points d’équilibre sensibles de ces différents paramètres, autrement dit ceux où si l’on dépasse une certaine frontière on risque de changer de régime d’équilibre du système (pensez à un vélo qui roule tant que vous pédalez, ce qui vous donne un régime d’équilibre, et au même vélo qui finit par terre et vous avec, si vous arrêtez de pédaler, ce qui est un autre régime d’équilibre mais moins agréable pour vous et pour le vélo). De ces travaux sont sortis les 9 limites planétaires (je préfère la notion de frontière qui risquent moins le on/off que l’idée de limites, mais passons) que l’étude SEI-Vatican propose comme cadre d’analyse : changement climatique, perte de biodiversité, changement d’usage des terres, cycle de l’eau, cycle de l’azote et du phosphore, acidification des océans, pollution, aérosols, couche d’ozone stratosphérique. Si vous voulez en savoir plus… allez lire le guide du SEI-Vatican ! Pour moi je me contenterai ici de souligner qu’en adoptant ce cadre d’analyse et de pensée, l’Église honore la complexité de la crise écologique sans tout réduire à une question de CO2. Voilà qui promet un chemin sans doute plus difficile mais plus prometteur car moins simpliste et réductionniste. Un vrai chemin d’écologie intégrale qui sait que la réalité est relationnelle et que « tout est lié », comme le sont ces 9 frontières planétaires.
Ensuite, la méthode. Je ne connaissais pas le SEI. Mais si j’en crois leur gouvernance, ce n’est pas une entité catholique, chrétienne ou même confessionnelle. C’est une fondation qui se présente ainsi : « Nous sommes une organisation internationale de recherche et de politique à but non lucratif qui s’attaque aux défis de l’environnement et du développement. ». Une fondation laïque donc, qui a visiblement ses connexions avec le monde scientifique comme le SRC qui fait partie de l’Université de Stockholm. Le travail conjoint SEI-Vatican relève donc de la méthode du dialogue entre « le monde » et « la tradition chrétienne ». Méthode promue par le Pape François dans Laudato si’ (LS 3, 14…) et qu’il s’était appliqué à lui-même puisqu’on peut analyser l’encyclique comme un grand dialogue entre le monde et l’Église sur l’état de la maison commune, les chapitres impairs étant à l’écoute du monde, et les chapitres pairs étant le dialogue que l’Église propose. Méthode qui ne date pas d’hier, puisque c’est en particulier Paul VI qui l’avait promue dans Ecclesiam Suam en 1964. Il y écrivait ainsi cette magnifique invitation : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation » (ES 67).
Alors entre cadre complexe et méthode dialogique, réjouissons-nous que l’Église comme institution continue à essayer d’oeuvrer dans l’Esprit de Laudato si’, 8 ans après cette magnifique encyclique. Que cette initiative SEI-Vatican soit un encouragement pour chacun de nos chemins de conversion écologique, chemins qui donneront chair à cette approche structurelle. C’est la beauté de l’incarnation.
Xavier de Bénazé, Délégué Laudato Si’-Écologie pour les Jésuites de la Province d’Europe Occidentale Francophone
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