Dossier La Tribune du Christianisme social

La tribune : Demander pardon : une valeur politique ?

Cela remonte à il y a quelques semaines déjà… Après avoir annoncé un confinement rigoureux des allemands pour les fêtes de Pâques, puis son annulation, la chancelière allemande Angela Merkel s’exprima en ces termes dans une allocution : « Cette erreur est mon erreur et mon erreur seule. Car à la fin, c’est moi qui porte la responsabilité de tout, de par mon mandat. Je regrette profondément cette erreur et je demande pardon aux concitoyennes et concitoyens pour la confusion qu’elle a pu causer. » (1)

1. Deux choses sont particulièrement frappantes dans cette déclaration : La reconnaissance de la faute, et le regret de l’avoir commise, avec l’utilisation de termes non équivoques comme « erreur » et « pardon ». Le terme « pardon » est en effet rarement utilisé en politique. On le trouve en général plus facilement dans la bouche de responsables religieux, comme lorsque le Pape François déclare :  « Je me sens dans l’obligation d’assumer tout le mal commis par quelques prêtres, un petit nombre au regard de tous les prêtres, et de demander personnellement pardon pour les dommages qu’ils ont causés en abusant sexuellement d’enfants. » (En 2014, à propos des crimes pédophiles commis par des prêtres). On trouve cependant quelques exemples en politique comme lorsque le Japon a demandé pardon aux chinois et aux coréens, lorsque le premier Ministre canadien Justin Trudeau a demandé pardon aux peuples autochtones de son pays, lorsque Hrvoje Sarinic, le chef de cabinet du président croate, Franjo Tudjman, dit en 1997: « Nous demandons pardon au peuple d’Israël et exprimons nos regrets pour les crimes commis durant le régime oustachi dans la période nazie. » (2)

2. L’engagement personnel de la chancelière qui endosse sa responsabilité dans cette erreur. C’est  elle qui se déclare auteure de cette faute, ce n’est pas son administration, le système, ses collaborateurs, l’état. En effet, il arrive assez souvent que quand des dirigeants s’excusent ou demandent pardon, ils ne s’accusent pas de la faute commise, mais qu’ils la font endosser par une entité impersonnelle, dont ils ne sont que les représentants. C’est le cas par exemple d’Henry Kissinger quand il déclare : « des erreurs ont probablement été commises par l’administration dans laquelle j’ai servi. » (3)  ou du président de l’Argentine Nestor Kirchner qui lance en 2004 : « Je demande pardon au nom de l’État pour cette honte que tant d’atrocités aient été tues pendant vingt ans de démocratie. » (4) Dans ces deux exemples, le dirigeant s’exprime au nom d’une entité abstraite, sa responsabilité personnelle n’est donc pas engagée.

« Mais ceci ne fonctionne que si la demande de pardon est sincère : ce qui exclut toute déclaration qui ne serait qu’une simple tactique, dans le but de manipuler l’opinion. Alors pourquoi s’en priver ? »

Pourtant, une demande de pardon personnelle et sincère a deux impacts importants. Tout d’abord, elle a comme effet immédiat de calmer la colère des personnes qui se sont senti lésées ou offensées par les actes pour lesquels le pardon est demandé. Cela permet donc de rétablir un lien de confiance avec le dirigeant incriminé, et de rétablir la paix sociale. Mais elle a un second effet, plus méconnu : cela améliore l’image de celui qui fait la demande de pardon, la confiance en lui augmente ainsi que l’idée qu’il/elle est un bon leader. En effet, si la demande est sincère et personnelle, cela renforce l’idée qu’il/elle est « aux commandes », qu’il a la situation « sous contrôle ». Mais ceci ne fonctionne que si la demande de pardon est sincère : ce qui exclut toute déclaration qui ne serait qu’une simple tactique, dans le but de manipuler l’opinion. Alors pourquoi s’en priver ?

Catherine Belzung, professeur de neurosciences à l’Université de Tours

1. Déclaration d’Angela Merkel le 24 mars 2021

2. D’après Le Monde, édition du 23/8/1997

3. D’après The Guardian, édition du 24/4/2002 (traduction : C. Belzung)

4. D’après Le Monde, édition du 26/3/2004

A lire aussi :

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– L’arme du langage politique par Dominique Quinio

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