Dossier La Tribune du Christianisme social

La tribune : La parole est à tous

Comment faire pour que chaque individu, quels que soient son origine sociale, son parcours, son âge, son niveau d’études, puisse avoir son mot à dire dans l’organisation de la société, dans les décisions qui le concernent ? La question n’est pas nouvelle, qui veut mettre en avant l’exercice d’une démocratie participative, afin que la démocratie, tout court, vive mieux. Des maires, sur le terrain, en font ainsi l’expérience. La crise sanitaire et économique que nous vivons ravive l’actualité de la question.

Il y eut, tout au long de ces semaines, un dialogue, largement mis en scène par les médias, entre les politiques et les scientifiques, chacun à tour de rôle semblant prendre le pas sur l’autre. Experts et ministres menaient la danse, une danse complexe tant étaient importantes les zones d’incertitudes. Et le public s’est trouvé amené à obéir sans barguigner aux consignes (parfois contradictoires), puis, quand le cadre règlementaire s’est assoupli, il fut invité à prendre ses responsabilités, sous une forme parfois culpabilisante. Sans toujours bien comprendre les tenants et aboutissants des préconisations, augmentant ainsi la méfiance endémique des Français à l’égard de toute autorité.

Est-il opportun, notamment en cas d’urgence, d’écouter les citoyens ? Et comment le faire sérieusement ?

Il ne s’agit pas de jouer la parole des uns contre la parole des autres, dans une tentation populiste risquée. Mais d’épauler, d’éclairer, la démarche politique, menée – parce que telle est leur responsabilité – par ceux qui, élus, représentent les Français. Une invitation à la participation active ne se décrète pas du jour au lendemain, mais se prépare et, surtout, s’évalue.

Par exemple, le Conseil économique, social et environnemental poursuit son action en la matière ; après le travail rendu sur « Fractures et transitions : réconcilier la France », il a lancé, avec un panel de personnes tirées au sort, une réflexion sur la jeunesse, et il vient d’ouvrir une plate-forme pour recueillir des propositions sur l’hôpital et sa place dans le système de soins, une consultation ouverte jusqu’au 25 juin.

« les exercices visant à donner la parole au peuple se heurtent à la représentativité de ceux qui s’expriment »

De la même façon que les taux d’abstention importants lors des élections biaisent la représentativité des élus, tous les exercices visant à donner la parole au peuple se heurtent à la représentativité de ceux qui s’expriment. Le Grand débat, organisé par le président de la République à la suite de la crise des Giles jaunes, a montré que bon nombre de personnes se sont mobilisées pour dialoguer, mais on a pu noter que manquaient des catégories importantes de la population, les plus jeunes, les personnes immigrées… Les associations qui travaillent avec les plus précaires le rappellent souvent: organiser une réelle participation de ces personnes demande du temps, de l’accompagnement, pour les convaincre d’abord que leur parole a du sens et faire en sorte qu’elles osent la confronter à d’autres.

Donner la parole au plus grand nombre, puis l’écouter, l’écouter vraiment, est un exercice démocratique exigeant. La solution, en effet, ne saurait se réduire à un usage immodéré du referendum. Cela implique du temps, de formation et d’information sur le thème en débat, une approche délicate et volontariste des publics qui paraissent les plus lointains, les plus démunis, les plus « empêchés ». Il ne s’agit pas d’enlever leur responsabilité décisionnaire à ceux dont c’est la fonction (les élus, les décideurs, les experts); il s’agit d’entraîner le plus grand nombre dans la construction d’un vivre ensemble plus juste et plus harmonieux.

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Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France

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