Dossier La Tribune du Christianisme social

La tribune : Des patrons au défi du Grand débat

C’est une actualité provocante quand perdure la crise des gilets jaunes. Emmanuel Macron réunissait lundi 21 janvier à Versailles – ah, Versailles ! – 150 patrons étrangers, pour les convaincre de choisir la France et d’y investir. La rencontre précédait le Forum de Davos, le rendez-vous suisse annuel de l’économie mondiale, auquel le président français ne devait pas se rendre cette année.

« 26 milliardaires richissimes posséderaient à eux seuls autant que l’ensemble de la moitié la plus pauvre de la planète »

Au même moment, et ce n’est pas un hasard, deux associations très critiques envers le système économique mondial publiaient des chiffres redoutables. Oxfam, d’une part, annonçait la concentration de plus en plus grande de la richesse entre quelques mains : 26 milliardaires richissimes posséderaient à eux seuls autant que l’ensemble de la moitié la plus pauvre de la planète. Pour sa part, Attac (association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne ) vise les entreprises du CAC 40, soulignant qu’entre 2010 et 2017, les effectifs de leurs salariés ont baissé, leurs bénéfices progressé et les dividendes versés aux actionnaires considérablement augmenté ; l‘association altermondialiste dénonce aussi les pratiques d’évitement fiscal de ces entreprises.

La méthodologie de ces enquêtes est contestée. Le rapport d’Oxfam dresse un constat d’inégalités croissantes dans le monde, mais ne rappelle pas que, malgré tout, la pauvreté diminue, la santé des enfants et des mères s’améliore, des maladies comme la tuberculose reculent, la scolarisation des filles progresse… Insuffisamment, certes, mais cela permet de croire qu’une mobilisation des énergies et des ressources peut permettre d’aller plus loin encore. Quant aux résultats des entreprises du Cac 40, leurs représentants expliquent qu’après une période d’important recul, ils reviennent simplement au niveau d’il y a dix ans.

Même à nuancer, ces alertes doivent faire réfléchir. Elles ne doivent pas simplement choquer, alimentant la rancœur de ceux que l’on entend aujourd’hui sur les ronds-points. Si de telles annonces aboutissent à une condamnation globale des entreprises, de leurs patrons et des « riches » en général, rien n’avancera. En revanche, elles peuvent servir d’amorce aux divers débats du Grand débat.

 » Les responsables d’entreprise doivent comprendre combien ces chiffres, même corrigés, sont difficiles à admettre »

Mais c’est surtout pour les responsables d’entreprise que le choc doit être salutaire. Ils doivent comprendre combien ces chiffres, même corrigés, sont difficiles à admettre (pensons au rapport entre bénéfices en hausse et nombres d’emplois en baisse). Quant aux autorités nationales et européennes, elles doivent se mobiliser pour que les entreprises paient, sur les sols nationaux, des impôts en rapport avec les bénéfices qu’elles y font. Le gouvernement français s’y emploie en essayant de taxer les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), mais seul il ne pèsera guère, si par ailleurs, en Europe, certains Etats continuent à faire cavaliers seuls en matière de fiscalité ou flirtent avec les paradis fiscaux.

L’image du premier de cordée utilisée par le président Macron, peut-être à contre-sens par celui qui l’a formulée et par ceux qui l’ont écoutée, serait pourtant ici opérante. Le premier de cordée ne fait pas l’ascension tout seul; il ne veut pas la gloire pour lui. Au contraire, il est au service des autres et notamment du plus faible de la cordée. Il est responsable de sa sécurité, de sa réussite. Et son propre succès, c’est de permettre à tous d’arriver au sommet. Les 24 milliardaires d’Oxfam ou les patrons du Cac 40, les dirigeants politiques et économiques présents à Davos, au milieu des montagnes, devraient s’en inspirer

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Par Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales

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