Dossier La Tribune du Christianisme social

Tribune : « L’éthique, tenter de discerner dans l’inconnu ? »

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Il ne s’agit plus de se préparer à l’incertain, les problèmes à aborder relèvent de l’inconnu.

Réunis dans la prestigieuse École des Mines de Paris-PSL des chercheurs de disciplines scientifiques variées et des dirigeants d’entreprises industrielles ou de services, ont proposé en mars la fondation d’un « Bauhaus » des transitions . Ils reprennent le nom de ce mouvement européen du début du XXème siècle, qui a su réunir maitres de la forme et maitres de la matière pour participer comme ingénieurs, bâtisseurs ou artistes, à la reformulation d’un monde.

Les propos introductifs de ces intellectuels ont rappelé les mutations que nous vivons : écologie, espaces informationnels, santé, mobilité, énergie …. Et leur description des ruptures, déjà subies ou à venir, ont d’abord créé chez moi un doute sur la pertinence du mot transition, cette évolution vers un futur envisageable. Mais un thème commun réunit ces chercheurs : il ne s’agit plus de se préparer à l’incertain, les problèmes à aborder relèvent de l’inconnu. Changement radical de problématique : l’incertain peut être décrit avec des probabilités, et la décision, politique, économique ou managériale tente de coupler évaluation des risques et mesure de l’efficacité, ce qui peut permettre d’identifier des responsabilités et de proposer des affectations de charge. Mais il s’agit d’inconnu porteur de peur et de ressentiment, et des décisions s’imposent, d’effet immédiat pour vaincre un danger ou d’effet à long terme pour tenter de recréer un futur souhaité. Pour répondre à un besoin de protection, de réparation, il est impossible de s’appuyer sur une base morale : l’inconnu ne permet pas de s’appuyer sur des normes.

Mais quelle éthique nourrira ces décisions ? Une première évidence : ces mutations radicales relèvent du collectif : la dynamique individuelle qui a nourri nos mythes ne peut plus bâtir. La Session des SSF de Lyon l’a bien démontré sur les mutations de l’environnement et ce constat s’impose dans chacun des domaines où la rupture se précise. Réaction collective : donc respect du lien avec l’autre, de son ressenti dans la durée, donc éthique de la discussion pour nourrir une humanité partagée et lutter contre l’instrumentalisation politique de ces peurs et de ces ressentis. Plus difficile : le discernement, qui nous est cher, butte sur l’inconnu ; domaine par domaine il va nous falloir travailler ces inconnus. Nous l’avons tenté sur l’écologie, thème un peu balisé, mais oserions nous ,par exemple, nous emparer des ruptures liées à l’intelligence artificielle pour tenter de formuler des critères à respecter ? Des mouvements spécialisés se concentrent sur les mutations des liens entre travailleurs, guère réductibles aux outils managériaux classiques : notre 98ème Rencontre des SSF axée sur le travail est une occasion d’identifier l’impact des ruptures acquises ou à venir. Ainsi du télétravail, une vieille histoire, avons-nous pris le temps d’en évaluer contraintes et libertés ? Réécrire Rerum novarum ? Partageons la plume.

Une grande humilité face à ces défis s’impose. Elle ne peut nous amener à nous taire en attendant que les problématiques se clarifient. Prophètes ? Certainement pas. Eclaireurs ? L’éthique comme torche pour éclairer l’inconnu ? Tentons…

Philippe Segretain, 29/03/24

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