Dossier Pensée sociale chrétienne

Trois bonnes raisons de redécouvrir le christianisme social

Le christianisme est large d’une tradition sociale déconcertante. Alors que la notion de justice sociale est de plus en contestée par les gouvernements libéraux et au sein même d’une minorité de croyants, voici 3 bonnes raisons de prendre le virage social du christianisme.

  • C’est dit dans l’Evangile.

Le pape François a-t-il lu Karl Marx ? Certainement pas de première main. Sa teinte sociale, voir socialiste est puisée directement dans la Bible. Les versets qui considèrent les pauvres comme une priorité sont célèbres et certains sont passés dans la culture. Comme ce tag à la bombe sur les murs de Paris, une après-midi de 16 novembre, réalisé par des manifestants en colère contre le président Macron, et reconnaissables à leur équipement de sécurité routière: « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles ». On se souvient aussi qu’il est plus facile pour un chameau d’entrer dans le chat d’une aiguille que pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux. L’Evangile n’est pas seulement doux avec les faibles et les pauvres, il est dur avec les forts et les riches. C’est ce que les origines du christianisme social européen traduisent bien : pendant les grandes luttes ouvrières du 19e siècle, il n’était pas question pour le bienheureux Frédéric Ozanam de « négocier » avec le patronat. « La question qui agite aujourd’hui le monde autour de nous […] est une question sociale ; c’est la lutte de ceux qui n’ont rien et de ceux qui ont trop ; c’est le choc violent de l’opulence et de la pauvreté qui fait trembler le sol sous nos pas. ». Ce rapport de force entre riches et pauvres a été préempté par le communisme soviétique, avec sa bureaucratie et son idéologie technolâtre qui firent passer les classes laborieuses au second plan. Pourtant, ce même rapport de force existe bel et bien dans l’Ecriture, tout l’enjeu pour le croyant est de le comprendre à la lumière de la Charité. A ce titre, une Dorothy Day, catholique américaine passée du communisme à Jésus a bien de choses à nous apprendre. S’il ne fallait retenir qu’une seule raison, ce serait bien celle-ci.

  • Le mystère Gilets jaune

Deuxième bonne raison : « entendre la clameur des pauvres », comme l’a écrit le pape François dans l’encyclique Laudato Si. Si le Gilet jaune « moyen » n’est pas un damné de la terre, il a pourtant le sentiment d’appartenir à la classe « qui bascule », celle pour qui les fins du mois commencent tôt dans le mois. Si nous voulons être à l’écoute des plus pauvres dans le monde, il est souhaitable de changer aussi de regard sur une partie de la population française qui est en phase de délitement et qui le fait savoir de manière de plus en plus limpide. La notion de « justice sociale » n’est pas dénuée de philosophie économique. Elle nous apprend à mobiliser les précieuses notions de « classes sociales » qui, loin d’agiter le drapeau du conflit permanent, aident à comprendre les intérêts économiques de chacun et à défendre ceux des plus pauvres. Le milliardaire et homme d’affaire Warren Buffett n’avait-il pas reconnu que « la lutte des classes existe, ce sont les riches qui sont en train de la gagner » ? Face à cela, pouvons-nous rester silencieux ? Une nouvelle fois, la tradition du christianisme sociale est précieuse pour mobiliser sinon notre intellect, du moins nos passions. Souvenons-nous de ce discours poignant de l’Abbé Pierre : « Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui ayant tout disent avec une bonne figure « Nous qui avons tout, nous sommes pour la paix ! », je sais ce que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs, c’est vous ! » Et le défenseur de pauvres de poursuivre : « vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients, au regard de Dieu, que n’en aura jamais le désespéré qui a pris les armes pour essayer de sortir de son désespoir. » Plutôt que de tourner le regard devant la demande de justice, cette demande fut-elle parfois violente, essayons d’entendre cette clameur et de comprendre ses ressorts.

  • Rempart à l’extrême-droite

L’ancienne ministre Laurence Rossignol déclarait récemment que l’extrême droite française voulait « revenir à une société chrétienne ». C’est bien mal connaitre et l’extrême-droite et le christianisme. Si ce dernier peut-être sujet à toutes les récupérations et interprétations douteuses, il n’y a jamais eu, en France, d’extrême droite chrétienne. Pourquoi ? Car la tradition sociale du christianisme a toujours rebutée les intellectuels organiques de l’extrême droite. En elle, ils voient trois écueils : la « glorification du féminin », c’est-à-dire notre conviction que les femmes ne doivent pas être l’objet d’emprise masculine, l’accueil inconditionnel des étrangers, et la crainte que derrière l’idée que nous sommes tous frères et sœurs, le concept de hiérarchie soit, in fine, très relatif. Si l’on passe sur la remise en question de la propriété privée absolue (cf Rerum Novarum) et le respect que l’on doit à tout être vivant, le christianisme a dans ses gênes un antidote naturel aux conceptions sectaires de l’extrême droite. Est-ce un but en soit ? Non. Mais à l’heure où les chrétiens cherchent des réponses aux choix politiques de leurs concitoyens, rappeler ces évidences avec une certaine décomplexion permet d’aborder le problème par le bon bout. L’Evangile lui-même regorge de cette exigence d’accueil, on se souvient de ce verset au chapitre 25 de Matthieu : « j’étais étranger, et vous m’avez accueilli ».

En résumé, peu importe notre degré de foi, on rencontre dans l’Evangile et dans certaines sensibilités du christianisme une manière riche et joyeuse de comprendre les enjeux économiques de notre temps.

Paul Piccarreta, directeur de la publication de la revue Limite

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