L’intelligence artificielle (IA) est constituée d’un ensemble de techniques numériques capables de traiter un très grand nombre de données. Les progrès en termes de puissance de calcul et le développement de nouveaux algorithmes, permettent à la machine de reproduire des «comportements humains », tels que le raisonnement ou, pour emprunter la définition de Cédric Villani1, « tout programme qui effectue automatiquement une tâche complexe qu’on aurait pu croire réservée à l’humain et qui suscite une grande attention du public ».
L’IA est le thème de la rencontre 2025 des SSF à Bordeaux et en ligne, les 15 et 16 novembre prochains.
Prendre la mesure de la démesure de l’IA
Vous ne connaissez pas le perroquet stochastique ? Imaginez alors un oiseau chatoyant, doté d’une huppe dorée déployée au gré de ses émotions, doué d’une capacité inégalée à reproduire les sons humains. Drôle d’oiseau en réalité, inanimé et d’une puissance inégalée, froid, purement technique. Ce n’est qu’un surnom, celui donné aux LLM (Large Language Model ou grands modèles de langage), ces algorithmes, une branche centrale de l’IA, qui répètent ce qu’ils ont ingéré !
Le surnom malicieux – tiré du grec stokhastikos, fondé sur la conjecture – met en garde contre les limites et les risques de cette technique, l’anthropomorphisme en particulier, mais aussi l’érosion de la créativité, l’absence de transparence sur l’incertitude…
Tout le monde connaît le plus répandu et complet de ces LLM, ChatGPT, créé par la société américaine OpenAI de Sam Altman, un ancien progressiste, devenu un technocrate libertarien à l’heure des Gafam2. Leur puissance à tous défie les États et se moque du droit.
ChatGPT est cet « agent conversationnel » à qui vous pouvez poser toutes les questions et confier toutes vos tâches. Il répondra sur la base d’un entraînement colossal réalisé par des milliers et des milliers de petites mains humaines sous-payées. Son succès à son lancement – un million d’utilisateurs en cinq jours en décembre 2022 – justifie, non pas à lui seul mais en partie, qu’on parle de l’IA comme d’une « révolution », même s’il s’agit plutôt d’une évolution naturelle sur la base d’étages préexistants. ChatGPT a dépassé les 400 millions d’utilisateurs hebdomadaires en février. Une estimation de 100 000 milliards de paramètres est avancée pour ses dernières versions. Ses voisins Grok, Claude, Gemini, Le Chat et autres, ne sont pas en reste !
C’est à cette branche de l’IA, que le grand public s’accroche souvent pour interroger les bienfaits et les dangers de l’IA. De fait, les LLM en sont une bonne illustration globale. « Ils n’ont pas accès au sens et n’ont pas d’intention dans leur communication, ils ne cherchent pas à exprimer quelque chose », explique la linguiste Emily Bender3, cocréatrice du perroquet stochastique.
L’IA, installée jusqu’aux recoins de nos vies
L’IA s’est installée jusqu’aux recoins de nos vies quotidiennes – des achats en ligne aux itinéraires routiers en passant par la domotique et mille autres applications… Si l’impact de la technologie sur l’emploi est souvent surestimé, à court terme, on observe des transformations progressives mais nettes et des changements marqués des habitudes de travail.
Les progrès scientifiques associés sont surtout à chercher du côté de la médecine, en particulier par les diagnostics complexes qu’elle permet d’établir. Si l’IA est extrêmement énergivore – ce qui pourrait faire fondre ses ailes à la façon d’Icare – elle est aussi source de promesse face à la crise environnementale. On pense à son pouvoir d’optimisation face à la gabegie de l’eau, de la chaleur, des déchets, de l’économie circulaire… Avec toujours, cette limite posée par Cédric Villani :
« Fondamentalement, elle prédit sans comprendre. »
Si l’impact de la technologie sur l’emploi est souvent surestimé, à court terme, on observe des transformations progressives mais nettes et des changements marqués des habitudes de travail.
Une technique qui polarise aux extrêmes
Face à l’IA, la tentation est de polariser aux extrêmes. « Elle va transformer les hommes en dieux », promettent les éblouis. « Elle va nous anéantir », craignent en face les doomers – de l’anglais doom, destin tragique – convaincus du prochain effondrement de la civilisation. Elle est de fait, centrale, dans l’actuel chaos mondial – guerrier, commercial, informationnel… – dans lequel les États peinent à exister. Il suffit de songer aux guerres cyber, à la désinformation et la disparition associée de toute confiance.
C’est le drame, « la singularité de la parole noyée dans la statistique », pointe Cédric Villani dans une conférence donnée sur Jacques Ellul et l’IA4. La course semble effrénée, en témoigne le dernier outil de génération d’image présenté par Google au printemps 2025, dans lequel il devient impossible de distinguer le vrai du faux.
Quel regard chrétien d’espérance poser sur l’IA alors qu’une crise environnementale majeure nous enserre dans le même temps ?
Est-il temps d’agir pour que cette révolution numérique ne soit pas une prise de pouvoir sur nos vies jusqu’à « réinventer l’homme »5, mais soit mise au service de l’homme ? Des pistes de réflexion approfondies ont été posées dès 2020 dans le rapport de l’association Espérance et Algorithme,
« Pour servir sans asservir »6, précieuse caisse à penser.
Dès le lendemain de son élection sur le siège de Pierre, Léon XIV nous a invités à répondre aux «nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail ». Il l’assure dans la foi, « le mal ne prévaudra pas », un message prolongeant celui du pape François délivré à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IA (Paris, février 2025), dans lequel les enjeux de souveraineté ont notamment été abordés. Une réflexion à poursuivre les 15 et 16 novembre à Bordeaux, avec les SSF…
Sophie de Ravinel,
membre du Conseil d’administration des SSF et pilote de la Rencontre 2025
- Up Magazine, entretien entre Cédric Villani et Gaspard Koenig, 27 juin 2024 : https://up-magazine.info/technologies-a-la-pointe/intelligence-artificielle/128481-ce-que-la-revolution-de-lia-nous-dit-de-nous-memes/ ↩︎
- Gafam, acronyme des géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. ↩︎
- https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/10/07/les-chatbots-sont-comme-des-perroquets-ils-repetent-sans-comprendre_6345570_3234.html ↩︎
- Conférence donnée à Paris le 13 mai 2024 pour les 30 ans de la disparition de Jacques Ellul. ↩︎
- Pour reprendre le titre d’un article de Jean-Michel Besnier dans la revue Études (2011). ↩︎
- https://www.esperance-algorithmes.org/wp-content/uploads/2020/07/LIVRE-BLANC-ALGO-ESPE-V06.pdf ↩︎
