Dossier Plateforme du Bien Commun

Alerte sur le grand âge

La loi « grand âge » mise en chantier par les gouvernements successifs n’a pas abouti ; le gouvernement actuel amorce une voie qui renforcerait la cinquième branche de la Sécurité sociale. Or, le problème de l’Ehpad n’a jamais été aussi médiatisé et la publication du livre Les fossoyeurs indigne : l’Ehpad atteint-il ses limites ?

Lorsque le maintien à domicile devient impossible pour des aidants épuisés et dans un conflit de loyauté, l’EHPAD reste la solution de derniers recours. Entre les dispositifs de maintien à domicile devenus insuffisants et l’Ehpad, il y aurait pourtant tout un espace à imaginer et des modalités d’accompagnement adaptées la personne.

Mais l’innovation en France se heurte aux lourdeurs administratives et au cloisonnement. Or l’Ehpad est malade de la gestion. Croulant sous la masse de textes réglementaires et de recommandations, affrontant l’insuffisance chronique en effectifs de soignants, il risque de naviguer à vue, parfois à la dérive, et de rater son objectif premier : assurer le bien-être et l’accompagnement de nos aînés dépendants.

Un espace de créativité existe avec l’article 51 de la LFSS 2018 dédiée à l’innovation en santé en lien avec le Ministère de la santé et l’Assurance maladie. Il accueille des projets expérimentés sur des territoires, vers une pérennisation, comme le DRAD (Dispositif renforcé de soutien à domicile).

A Nice, une expérimentation est en cours. Le dispositif a pour objectif de permettre à la personne âgée de plus de 60 ans en perte d’autonomie (GIR 1 à 4) de continuer à vivre chez elle, dans un environnement sécurisé. Ces personnes acceptent le principe d’un accompagnement coordonné par un référent mutualiste (EHPAD du Centre Claude Pompidou à Nice), interlocuteur principal de la personne âgée et de son entourage.

Chaque accompagnement est construit sur la base d’une évaluation complète de la situation de la personne âgée, environnement compris, en tenant compte de ses souhaits et de ceux de ses proches aidants. Le dispositif comprend différents volets : aide à la vie quotidienne et soins, sécurisation du logement, gestion des situations de crise, activités sociales et de loisirs. Il assure la coordination renforcée de l’ensemble des actions. Cette organisation permet aussi un accompagnement des aidants en les soulageant de la coordination des interventions et en leur proposant des moments de répit.

Par exemple Nadine, anciennement coiffeuse, vivant avec son époux et ne souffrant d’aucun handicap physique, présentait une maladie neuro dégénérative avec des troubles du comportement Son époux était dans le déni des conséquences de la maladie mais supportait de plus en plus mal la situation et donnait des signes d’épuisement.

La gestionnaire de parcours, le médecin coordinateur et l’infirmière coordinatrice ont recueilli des éléments susceptibles d’évaluer la situation globale de la famille. Le dossier constitué a été présenté à la commission d’admission composée de l’équipe du DRAD et de l’EHPAD. Le médecin traitant était partie prenante de la décision et a gardé un rôle central.

Un projet de vie et un projet de soin ont été mis en place pour cette famille incluant de nombreuses personnes ressources : ASG (aides-soignants(tes) en gérontologie), psychologue, ergothérapeute, nutritionniste, service de téléassistance, médecin coordinateur. Un professionnel dédié a assuré le pilotage.

Nadine a pu participer à des ateliers à visée thérapeutique pour la stimulation de ses capacités cognitives. Des sorties dans le voisinage ont été organisées mais l’agressivité de Nadine vis-à-vis des autres habitants a rendu ces sorties compliquées. L’ASG a constaté une dégradation de l’état de santé de Nadine tandis que son époux était dans un épuisement avéré. La proposition d’un séjour temporaire à l’EHPAD de l’ICP était faite. Après trois semaines, Nadine était plus calme et son état général s’était tandis que son époux sortait progressivement de son attitude de déni. Le retour au domicile a été facilité et à ce jour, les choses se passent le mieux possible avec la poursuite de l’accompagnement.

Cette situation montre qu’un accompagnement avec des objectifs et des actions bien adaptés au projet par une équipe pluridisciplinaire permet de poursuivre un maintien à domicile malgré une grande fragilité. La situation de crise a pu être régulée par l’équipe de l’EHPAD. On peut souligner la complémentarité des différents organismes entre eux.

Le projet de coordination oblige les différents acteurs à ne pas rester uniquement côte à côte mais à s’articuler et à créer entre eux de nouvelles approches, ce qui n’est pas toujours confortable. Ce projet suppose une adaptation des équipes au changement, face aux représentations et à leur expérience professionnelle : en effet la définition des métiers du soin sont bousculés car dans ce cadre, il importe de redéfinir les missions comme celles des aides-soignants(tes) et infirmiers (ières) : elles diffèrent selon le contexte d’intervention en EHPAD ou à domicile. On note que les équipes engagées dans ce projet du DRAD sont sensibles à la reconnaissance de leurs compétences vis-à-vis des familles et vis-à-vis des autres professionnels.

Basée sur le décloisonnement et la coordination de l’ensemble des acteurs, ce dispositif repose sur une approche globale et systémique au service des patients, placés au centre. Elle permet une réduction des dépenses de santé en évitant des hospitalisations, des prescriptions inutiles : la coordination développe des bonnes pratiques qui sont sources d’économie.

Cette approche systémique suppose une redéfinition des métiers du soin : après une évaluation de la situation, des souhaits exprimés, le dispositif offre un projet coordonné avec une équipe interdisciplinaire.

Ce chantier porteur d’avenir demande audace et reconnaissance de toutes les compétences ; il est très prometteur dans la droite ligne du virage domiciliaire annoncé.

Pour le groupe Santé des SSF, Françoise et Jean-Luc Philip

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