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Dossier La Tribune du Christianisme social
Cette tribune est le fruit de la coïncidence de deux événements distincts : “douze jours d’action” pendant lesquels des personnes vivant sur quatre continents se sont retrouvées quotidiennement par Zoom pour deux heures d’échanges et le Grand entretien de France Inter du 3 octobre consacré à La France sous nos yeux (1). Elle s’inscrit aussi dans la perspective du dimanche 17 octobre, Journée mondiale contre la pauvreté.
Les douze jours d’action ont été organisés par une association indienne d’inspiration gandhienne, Ekta Parishad (2), en partenariat avec des ONG de toutes les parties du monde. L’objectif était de collecter des exemples d’actions non violentes de lutte contre la pauvreté, les discriminations et les injustices qui pourraient inspirer des engagements individuels, des projets d’ONG et des politiques publiques afin que puissent être atteints en 2030 les Objectifs du développement durable, les ODD (3) .
La chose la plus importante que je retienne au niveau individuel est que pour développer des relations non-violentes chacun doit faire la paix avec lui-même afin d’éviter de projeter sur les autres les contradictions et les tensions dont il souffre. À ma grande surprise, les témoignages reçus du Canada, du Mexique, des États-Unis, de France, d’Inde, du Népal, de l’Ouganda ne parlaient ni de méditations ni de retraite, comme je m’y attendais, mais de jeûnes.
Le jeûne, était-il dit par ceux qui en avaient fait l’expérience, permet d’unifier l’âme et le corps, de se purifier pour réfléchir librement, pour faire taire ses propres soucis et porter son attention sur les autres et particulièrement sur ceux qui souffrent d’injustice, sur les plus obscurs, sur ceux qui ne comptent pas ou qui dérangent comme les mendiants ou les migrants, et se demander, ce qui, dans nos actes, rend leur vie plus difficile, plus solitaire. Ainsi, le jeûne amène-t-il à s’interroger sur son action, à savoir où l’on en est, à clarifier ses pensées, ses objectifs, ses priorités, ses besoins en distinguant le superflu du nécessaire, et à prendre des décisions. Cela de façon d’autant plus efficace que l’on évite de laisser son esprit vagabonder en se fixant un sujet sur lequel faire porter ses réflexions tandis que l’on jeûne.
Les témoignages ont porté notamment sur la nourriture et l’eau abondantes et gaspillées par les uns, insuffisantes et non potable pour les autres, sur l’espace habitable disponible, sur l’énergie consommée pour chauffer ou climatiser, sur les modes de transport utilisés. Frugalité et modestie ont été prônées ; des interrogations ont été posées sur ce qui devait être géré comme un bien commun ou comme une marchandise. Le mot spiritualité a aussi été prononcé, le jeûne étant un moyen de guider chacun dans sa recherche spirituelle.
L’interview de Jérôme Fourquet, l’un des auteurs de La France sous nos yeux ramène à l’Hexagone. Il dépeint l’écart, qu’il juge abyssal, entre la représentation que les Français se font de la France qui est celle de la période des « trente glorieuses (4) », celle d’une France qui investit, produit et regarde vers l’avenir, et la réalité d’aujourd’hui, où l’économie est tirée par la consommation et où les migrations depuis les territoires qui n’attirent pas vers ceux qui sont désirables provoquent des évolutions contrastées dans les prix de l’immobilier. La focalisation sur la consommation entraîne de nouvelles exigences qui sont causes de frustrations chez ceux qui ne peuvent les satisfaire et d’une frénésie de luxe chez ceux qui en ont les moyens. Ce désir de consommer plus et d’avoir plus ne conduit pas vers les chemins qui permettraient de maîtriser le réchauffement climatique, d’arrêter la détérioration de la biodiversité, d’éviter les conflits qui se dessinent pour l’accès aux métaux rares et à l’eau. Pourtant, les auteurs soulignent que le besoin de spiritualité inhérent à tout homme demeure, mais notent qu’il, « n’est plus satisfait dans une France déchristianisée », ce qui fait le succès des voyantes et des sectes et remet les sorcières à la mode.
Écoutant cette interview après les réflexions entendues sur le jeûne pendant les « douze jours d’actions », il m’a semblé évident que nous avions besoin de jeûner pour remettre nos idées en ordre, prêter attention aux autres et regarder vers l’avenir.
Au même moment s’imposait à nos consciences les réalités douloureuses du Rapport Sauvé (5). Alors, oui jeûnons !
***
(1 )Jérôme FOURQUET et Jean-Laurent CASSELY, La France sous nos yeux, Le Seuil, Paris, 2021.
(2) Ekta Parishad, Forum de l’Unité en hindi, fondé par Rajagopal P.V., a été à l’origine de Jai jagat, une marche Delhi Genève, commencée en octobre 2019 pour attirer l’attention sur le rôle des plus défavorisés dans la réalisation des Objectifs du développement durable, marche interrompue par le Covid en mars 2020.
(3) Les ODD ont été adoptés par les Nations Unies en 2015.
(4) Jean FOURASTIE, Les trente glorieuses : ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Fayard, Paris, 1979. L’expression « les trente glorieuses » désigne désormais la période 1946-1975, celle d’une révolution invisible, lente et profonde.
(5) Jean Marc SAUVÉ a présidé la Commission d’enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l’Église catholique qui, le 5 octobre, a remis son rapport à Mgr de Moulin-Beaufort, président de la Commission des évêques de France.
Yves Berthelot, économiste français, ancien fonctionnaire des Nations unies et président du Comité français pour la solidarité internationale et du Centre International Développement et Civilisations
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