Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : Humaniser la guerre?

En cette fin d’année 2023, on compte au moins neuf guerres en cours dans le monde, si l’on appelle guerre un conflit armé qui fait au moins mille morts par an(1). Dans aucun de ces conflits, le droit de la guerre n’est respecté : tortures, massacre d’hommes, de femmes et d’enfants, bombardements d’habitations, d’hôpitaux et d’écoles, déplacements forcés de populations et, parfois, enfants arrachés à leur famille et déportés, prises d’otages, privations de médicaments, d’eau de nourriture et d’électricité.

Certes, nous ne sommes plus à l’époque où les hommes des armées vaincues étaient passés au fil de l’épée ou réduits en esclavage, où les femmes étaient systématiquement violées, où les soldats se payaient en pillage, où l’on brulait villes et récoltes, où Gengis Khan dressait des pyramides de têtes coupées – encore savait-il épargner les lettrés et les savants pour les envoyer à Samarkand, ce que les bombardements aveugles ne savent faire. Mais avons-nous progressé en humanité ?

Entre le XVIème et XIXéme siècle, philosophes et penseurs ont formulé des principes et défini des règles pour rendre la guerre plus humaine et fonder les relations internationales sur le droit. L’école de Salamanque avec Francisco de Vitoria, 1483-1546, et Francisco Suarez, 1548-1617, soutient que le droit naturel, ensemble de principes généraux qui s’imposent à tous, n’est pas révélé mais est le fruit de la raison, réduisant en conséquence le pouvoir des Églises sur les États. Hugo de Groot, 1583-1645, définit des normes restrictives pour limiter les violences et récuse le droit de rendre esclaves les prisonniers de guerre ou de tuer les otages. Un siècle plus tard Emer de Vattel, 1714-1767, reconnait qu’en cas de guerres « légitimes » – qu’il oppose alors au brigandage et qui, aujourd’hui s’opposeraient au terrorisme – les populations civiles, comme les combattants ennemis, ont des droits.

Entre temps, la paix de Westphalie, qui clôt en 1648 la Guerre de Trente Ans, interdit toute ingérence dans les affaires intérieures des États et, surtout, ne punit pas les vaincus ni n’attribue aux vainqueurs tout ce qu’ils désirent. Ces principes guideront le Congrès de Vienne à la fin de l’aventure napoléonienne et les conditions de la capitulation allemande à la fin de la seconde guerre mondiale, mais ont été malheureusement ignorés par le Traité de Versailles en 1919, ce qui a été une cause majeure de la seconde guerre mondiale.

Enfin, Henri Dunant, 1828-1910, horrifié de voir morts et blessés abandonnés sur le champ de bataille, porte, avec les gens du village de Solferino, secours aux blessés sans distinction de leur nationalité, « tutti fratelli » disent les femmes. À la suite de quoi, il fonde la Croix Rouge et plaide pour que les armées soient tenues de soigner tous les blessés quel que soit leur camp. Le Comité international de la croix rouge, le CICR, est créé en 1863. En 1874, Fiodor Martens échoue à faire interdire certaines armes, des États refusant de signer des conventions contraignantes. Cependant, 1925 verra l’interdiction du gaz moutarde et 1997 celle des mines antipersonnel.

Ces principes, ces initiatives et la pression de personnalités et d’associations aboutiront à l’adoption entre 1864 et 1929 des trois conventions de La Haye et des 4 conventions de Genève complétées en 1949 par deux protocoles additionnels. À la Haye : création de la Cour permanente d’arbitrage pour traiter des différents d’ordre juridique entre États ; définition du statut des combattants légitimes ; lois de la guerre et tentatives pour limiter la dangerosité des armes nouvelles. À Genève : protection particulière des malades, blessés et naufragés ainsi que du personnel médical, des ambulances et des hôpitaux ; traitement des prisonniers de guerre ; protection des civils ; restrictions à la conduite de la guerre ; cas des conflits internes.

Ces conventions ne sont guère respectées dans les conflits en cours, on l’a souligné plus haut. Cependant, elles ne sont pas sans influence dès lors que ces guerres deviennent “visibles”, c’est-à-dire qu’elles risquent de se propager aux pays voisins ou d’affecter les intérêts économiques, politiques ou stratégiques des pays influents. Ceux-ci rappellent éventuellement les conventions internationales dans les pressions qu’ils cherchent à exercer sur les belligérants. L’attention des médias et des ONG et, par conséquent, des opinions publiques est aussi alertée. Celles-ci s’indignent des violations qui heurtent leur sens de ce qui est juste ou injuste et comprennent mal que leur pays ne condamne pas plus clairement ces violations. Ainsi, la condamnation des actes inacceptables du Hamas du 7 octobre n’a pas fléchi, mais, devant le nombre des victimes civiles dues aux bombardements de Gaza, les pays démocratiques occidentaux ont progressivement nuancé le soutien inconditionnel initial qu’ils apportaient à Israël.

Il reste que toute guerre a une fin et qu’il n’est pas de convention définissant l’équilibre des conditions auxquelles devraient aboutir les parties en conflit. Ne pas se venger ni punir les vaincus serait une forte leçon de l’histoire à prendre en compte.

Yves Berthelot

(1) Guerres en cours : guerre entre pays Russie-Ukraine ; guerres internes : Israël-Hamas, Yémen, Birmanie, Somalie, Soudan, Nigeria, Syrie, Burkina Fasso

Ces articles peuvent aussi vous intéresser:

– Nous avons mission d’espérance, jusqu’à la fin du monde

– Isarël-Palestine : une tragédie contemporaine

Les plus récents

Voir plus