Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : F**k you CO2

F**K YOU CO2 : tel est le slogan publicitaire d’une marque de bière anglaise présenté en première page du très libéral hebdomadaire The Economist en Angleterre le 29 Août 2020. En sous titre de cette accroche assez « cash », on peut lire « Brewdog beer is now carbon negative ». La promesse est donc la suivante : en buvant cette bière, vous n’émettez pas de CO2. Pardon, dans ce cas la bière aurait été neutre en carbone, ou zéro émission nette. Ici la promesse va plus loin : en trinquant avec des amis ou en sirotant une cannette devant votre télé, vous séquestrez du CO2 car l’entreprise, entre réduction de ses émissions et plantations d’arbres, capture plus de CO2 qu’elle n’en émet. Combattre le réchauffement climatique depuis le fond de son canapé : la conversion écologique n’a jamais été aussi simple !

F**K YOU CO2 : en excusant la grossièreté, peut-être peut on se réjouir de voir le monde du business désigner l’ennemi commun de la planète et de l’humanité, cette fameuse molécule CO2 dont les émissions liées à nos activités humaines viennent fragiliser l’équilibre du climat planétaire ; et derrière le climat de l’équilibre de la vie sur terre. 30 ans après le premier Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, il était temps. D’autant que les engagements « anti-CO2 » ne sont plus cantonnés aux seules marques « engagées », sur des créneaux de niche. Selon le dernier rapport du cabinet Ecoact, au sein des grandes entreprises cotées du Royaume-Uni, de France, d’Espagne et des USA, en 2019 20 % présentait un objectif « zéro émissions nettes ». Ce chiffre est passé à 45 % en 2020. En ces temps de crise, réjouissons-nous de ces bonnes nouvelles.

F**K YOU CO2 : derrière ce slogan et toutes ces grandes déclarations, plusieurs questions surgissent cependant. La première est technique. Dans les récentes annonces, comment s’y retrouver entre les « carbon free », « carbon negative », « zéro carbone », « zéro émissions nettes », « neutre en carbone » ? Le consommateur averti sait que la multiplication des mots cache souvent des réalités assez divergentes. Nous n’entrerons pas ici dans cette jungle. Mais il semble clair que cette diversité appelle une clarification méthodologique et la mise en place d’un référentiel commun avant de multiplier les annonces. Le risque sinon est de perdre le consommateur et in fine de noyer les bonnes intentions au milieu d’opérations marketing court-termistes. Des travaux ont déjà été réalisés pour proposer une approche commune et honnête en termes scientifiques et politiques. On peut par exemple citer le référentiel Net Zero Initiative (NZI) issu des travaux du cabinet Carbone 4. L’intérêt de travaux comme ceux du NZI, c’est qu’ils replacent les engagements « individuels » de telle ou telle entreprise dans le cadre d’un changement collectif que nous devons atteindre ensemble, comme humanité d’une même planète. Personne n’est « neutre » en carbone seul. Chacun participe, plus ou moins activement, à un défi commun qui vise à réduire de 50 % nos émissions CO2 planétaires d’ici 2030, dans l’espoir que le réchauffement climatique soit limité à +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle (1880-1899) d’ici 2100. Cette remise en perspective replace l’objectif commun de neutralité carbone dans le champ politique et non dans le seul champ du marché. Ce qui justifierait l’imposition d’un référentiel type NZI par les États, l’Union Européenne ou l’ONU.

« L’appel à une conversion pour une écologie intégrale invite à sortir du paradigme technocratique pour entrer dans un vrai mouvement de conversion personnelle et collective. »

F**K YOU CO2 : Mais tous ces débats sont encore des débats « techniques » et une tentative de réponse technique à un problème climatique réduit à une question technique. Or l’appel à une conversion pour une écologie intégrale invite à sortir du paradigme technocratique pour entrer dans un vrai mouvement de conversion personnelle et collective. Cette déclaration d’intention peut nous laisser interrogatifs. Mais si je reviens à ma cannette de bière, elle se traduit très concrètement ainsi : pour que nos sociétés changent vraiment de paradigme et avancent vers une vie sobre et heureuse, vais-je ouvrir ma bière et la boire la conscience tranquille car une publicité m’a dit « carbon negative » ? Ou bien vais-je réfléchir un peu et me demander d’abord « Ai je vraiment besoin de boire cette bière ? » ? puis, si je décide que oui, « Qu’est ce qu’ils veulent dire par carbon negative ? » ? En un mot : F**K CO2 appelle notre discernement personnel et collectif !

Xavier de Bénazé, jésuite et coordinateur au Campus de la Transition

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