Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : Contre les peurs, construire la fraternité

Première étape : apprendre à se parler

Les divisions séparent les pays et les hommes et les peurs se succèdent et s’accumulent : le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité font craindre le grand effondrement ; l’islamisme, qui, au-delà d’actes terroristes, impose ses règles dans les lieux où il détient le pouvoir, apparaît comme une menace pour l’identité nationale ; l’affaiblissement de la démocratie ouvre la porte au populisme et présage la multiplication de régimes autoritaires ; la puissance technologique des GAFA et l’extension des dispositifs de contrôle permanent des populations laisse craindre la fin des libertés individuelles et l’avènement d’un nouveau totalitarisme.

Face à ces menaces, rappelons-nous le mot de Malraux alors que montait la crainte d’une seconde Guerre mondiale : « Pour l’éviter, il n’est d’autre réponse que la fraternité (1) » , fraternité à laquelle nous invite puissamment le pape François dans Fratelli Tutti  (2), encyclique qu’il adresse à tous les hommes. Fraternité, encore, qui conclut, l’article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Admirable phrase qui nous invite à méditer sur ce qu’est un être humain : “tous égaux en dignité”, nous interdit de mépriser l’autre, l’étranger ; “doué de raison” nous invite à réfléchir aux conséquences possibles de nos actes. Méditation qu’enrichissent les réflexions de Jane Goodall, éthologue (3) et anthropologue, spécialiste des chimpanzés. Dans une conférence de 2003 où elle s’intéressait aux différences entre l’homme et les grands singes, elle constatait que la seule caractéristique qui distingue l’homme est son langage articulé et sophistiqué qui lui permet de se réunir en groupe pour étudier un problème, trouver des solutions et de les transmettre dans le temps par l’écriture (4). À chacun de laisser ces réflexions résonner en lui.

Pour développer la fraternité qui permettra de vaincre les peurs, il faut donc se parler.

Dans le cadre de ce billet, je me limiterai au dialogue entre musulmans et non musulmans en France, à un moment où il importe particulièrement que nos concitoyens musulmans ne se sentent pas rejetés. Très simplement, la vie quotidienne offre maintes occasions de se parler – au travail, en conduisant ou allant chercher les enfants à l’école, dans les commerces, en voisins, dans les réunions de quartier, dans les colonies de vacances. Le premier pas est d’entamer le dialogue sur tout et rien afin de montrer qu’on ne s’ignore pas l’un l’autre à cause de la religion et, progressivement, de surmonter la méfiance.

La méfiance qui fait dire « tous les musulmans sont … » « tous les juifs sont … » « tous les chrétiens sont … » et prononcer des jugements catégoriques s’enracine dans l’ignorance que chacun a des autres religions et doit être combattue dès le collège, dès l’école même. Les grandes religions et l’agnosticisme peuvent être présentées de façon neutre et respectueuse.

Si l’on veut approfondir le dialogue, il ne faut pas oublier, comme le souligne l’UNESCO, que pour tout dialogue interreligieux et interculturel, il est nécessaire que les protagonistes aient une connaissance suffisamment solide de leur propre religion ou de leur propre culture, faute de quoi le moins préparé se sent agressé dès qu’il ne sait que répondre et la colère risque de s’installer.

Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye le disent d’une autre façon dans l’introduction de leur œuvre, le Coran des historiens (5) : « Nous pensons qu’un des moyens les plus sûrs … pour apaiser les esprits, faire tomber les tensions, neutraliser les fanatismes et les incompréhensions, est d’introduire l’histoire et la géographie – en un mot, l’approche scientifique, avec sa froideur et sa distance – dans l’examen des choses de la foi » et plus loin : cet ouvrage « s’adresse aussi bien à ceux qui considèrent le Coran, souvent sans le connaitre, comme un texte violent, justifiant l’esprit de domination chez ceux qui le voient comme leur livre saint, qu’aux musulmans qui y ajoutent foi comme un ensemble de préceptes valables pour tous les temps et tous les lieux.

Retenons que, pour un dialogue fraternel en vue de surmonter peurs et méfiances sur des textes ou des faits anciens comme sur des faits récents, il est sage de considérer et d’interpréter ces faits ou ces textes à la lumière des circonstances dans les quels ils ont été écrits ou se sont produits.

Yves Berthelot, économiste français, ancien fonctionnaire des Nations unies et président du Comité français pour la solidarité internationale et du Centre International Développement et Civilisations

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1. Mot dont je n’ai pas la source exacte, mais dont l’idée se retrouve dans maints discours qu’il a prononcés dans cette période

2. Pape François, Fratelli Tutti, Encyclique, 2020, Bayard – Mame – Le Cerf, 216 pages, 4,50€

3. L’éthologie est l’étude scientifique du comportement des animaux et des hommes dans leur milieu naturel

4. Les TED conférences sont organisée par la Sapling Foundation pour diffuser les “idées qui en valent la peine“ Celle de Jane Goodall fait l’objet d’une vidéo accessible sur Internet

5. Ali AMIR-MOEZZI et Guillaume DYE, Coran des historiens, Le Cerf, 2019, 4000 pages. Voir aussi de Ali AMIR-MOEZZI et Pierre LORY, Une petite histoire de l’Islam, Librio, 2018, 93 p.

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