Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : L’arbre qui cache la forêt

La forêt amazonienne au Brésil a émis plus de CO2 qu’elle n’en a absorbé sur la dernière décennie (2010-2019) selon une étude publiée fin avril dans la revue Nature Climate Change.

« Encore une mauvaise nouvelle du front écologique » diront certains. Oui. Désolé. Que l’Amazonie brésilienne semble émettre 18% de plus de CO2 qu’elle n’en absorbe n’est pas une bonne nouvelle. Les forêts sont souvent présentées, avec les océans, comme les poumons de notre maison commune. Il semble que le poumon amazonien soit en mauvaise santé, alors même qu’il représente 50% des forêts tropicale mondiales.

Mais là n’est peut-être pas la pointe de cette nouvelle. Car est-ce vraiment une nouvelle après tous les avertissements, analyses, grandes déclarations depuis des dizaines d’années ? Non. D’ailleurs pour s’alarmer des incendies qui ravageaient l’Amazonie durant l’été 2019, le Président Macron avait récupéré des mots du Président Chirac 17 ans avant lui : « Notre maison brûle. Littéralement ».

Non, la pointe est peut-être plus du côté d’un appel à changer notre regard, à arrêter de réfléchir de façon individualiste et réductionniste pour entrer dans un regard plus systémique et relationnel.

Dans ce triste contexte amazonien, un symbole entre en crise, c’est l’arbre. Symbole vieux comme le monde, vieux comme la Bible et l’arbre au milieu du jardin d’Eden. Pour soutenir les grands et vagues engagements sur la « neutralité carbone », l’arbre est mis en avant comme le symbole magique qui rassure : « nous plantons des arbres, des millions d’arbres ! ». Mais l’étude de Nature nous signale que tous ces arbres nous cachent la forêt. En effet, les scientifiques affirment que, plus que la coupe des grands arbres, ce sont les dégradations progressives (coupes partielles pour du bois, dégradations en lisières, fragmentation…) qui nuisent le plus au dynamisme de l’écosystème amazonien et donc, entre autres, à sa capacité de capter du carbone.

« Une forêt […] c’est un véritable écosystème, ancré dans une terre, formant un biotope unique, une symbiose singulière et dynamique avec les éléments et des milliards d’autres être vivants, des bactéries du sol aux insectes des canopées. »

Autrement dit, la conversion du regard à laquelle nous sommes invités, c’est d’entrer dans une vision systémique du monde. « Le tout est supérieur à la partie » affirme le Pape François dans Evangelii Gaudium (n°234-237). Une forêt, ce n’est pas la somme de millions d’arbres à la queue-leu-leu. C’est un véritable écosystème, ancré dans une terre, formant un biotope unique, une symbiose singulière et dynamique avec les éléments et des milliards d’autres être vivants, des bactéries du sol aux insectes des canopées. L’invitation qui nous est faite ici est de ne pas laisser l’arbre, même quand il tombe, victime de la déforestation industrielle, nous cacher la forêt. « Tout est lié » ne cesse de répéter Laudato si’ (n°16, 70, 91, 92, 117, 120, 138, 142, 240) : comment allons-nous changer notre manière de voir le monde pour intégrer cette réalité qui est une étape clé pour une conversion écologique intégrale ?

Peut-être simplement en l’appliquant à notre vie quotidienne. Tout est lié ! et c’est sans doute la seule bonne nouvelle à partager ici, alors que visiblement la planète tousse fortement. Tout est lié, je suis donc moi aussi lié à l’Amazonie en crise.

Pour entrer dans cette réalité, peut-être puis-je prendre deux minutes de pause et respirer profondément, en concentrant mon attention dispersée sur le va-et-vient de l’air dans mes poumons. La qualité de cet air, son taux d’oxygène et de CO2, d’azote et de polluants divers dépend visiblement en partie de l’état de santé de l’Amazonie. J’accueille cette dépendance à pleins poumons et laisse descendre cette réalité en moi.

Peut-être puis-je me concentrer sur mon assiette avant d’avaler distraitement mon déjeuner. Le Pape nous invite à retrouver la source vive du traditionnel bénédicité (LS, n°227). En contemplant les aliments, je rends grâce pour la vie qui m’est donnée à travers eux. Je peux imaginer autour de la table avec moi toutes celles et ceux qui ont contribué à sa confection, de la paysanne dans son champ au cuisiner du jour, en passant par la caissière du supermarché et les camionneurs pour la logistique. Je peux aussi prendre le temps de rendre grâce pour ces aliments eux-mêmes et leurs écosystèmes d’origine. Peut-être serai-je alors ramené directement à la forêt amazonienne ? Après tout, une large partie du soja qui nourrit le bétail mondial ne vient-il pas des champs qui déforestent chaque année un peu plus l’Amazonie, étendant toujours plus profond la pénétration des activités de dégradation qui causent tant de ravages ?

L’invitation nous est lancée : explorons notre appartenance au tissu du vivant de la Création et tâchons de nous insérer avec harmonie dans cette forêt, laissant derrière nous notre vision réductionniste arbre par arbre. La louange du Créateur n’attend que nous.

Xavier de Bénazé, jésuite et coordinateur au Campus de la Transition

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