Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : La paix et le silence des armes

La Semaine Sainte ne doit pas être une nouvelle semaine de sang et de larmes en Ukraine. Nous ne pouvons pas laisser le message de paix et de salut de cette Pâques 2022, que les catholiques fêteront au matin du 17 avril et les orthodoxes d’Ukraine et de Russie une semaine plus tard, enseveli sous le vacarme des armes au cœur du continent européen. Ayons le courage de dire assez !

Assez de destruction ! Assez de sang ! Assez de vies brisées par la violence, le deuil ou l’exil !

Une trêve est nécessaire maintenant pour soulager le peuple ukrainien et pour donner une perspective à de véritables négociations. La cessation des hostilités doit être envisagée, soutenue par un vaste mouvement citoyen et proposée avec responsabilité et volontarisme, notamment par les pays fondateurs de l’Union Européenne actuellement présidée par la France, seul pays européen membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Une initiative forte en ce sens doit être prise sans délais en direction de la courageuse Ukraine et de la Russie avant que celle-ci, qui a subi de lourdes pertes, ne franchisse un nouveau seuil de violence.

Les menaces nucléaires de Vladimir Poutine ne sauraient être prises à la légère. Si nous n’agissons pas rapidement pour la paix, « l’aventure sans retour » qu’est la guerre pourrait bientôt conduire l’Europe et le monde vers l’irréparable. Aucune dissuasion ne tient lorsque le tabou de la destruction d’une ville est déjà tombé à Marioupol comme, avant cela, à Alep ou à Sarajevo.

Nulle ville, nul territoire ne peut se sentir à l’abri de la « guerre mondiale par morceaux » que le pape François ne cesse de dénoncer depuis le début de son pontificat et dont le conflit ukrainien est l’une des métastases. Dans un monde globalisé où conflit est synonyme de fratricide, n’oublions pas ce que nous savons depuis Caïn et Abel de l’engrenage de malédiction et de vengeance né du sang répandu entre frères.

Depuis le 24 février dernier, il a pu sembler difficile voire inaudible d’appeler à la paix tant s’est imposée avec la guerre, la plus importante en Europe depuis la seconde Guerre Mondiale, la fausse évidence de la force mais aussi la croyance aveugle en la capacité du marché et en particulier du marché des armes, à contenir cette crise. Comment ne pas y voir un terrible affront fait à tous les artisans de paix ayant construit l’Europe depuis plus de 70 ans sans parler de tous les architectes de l’ordre international multilatéral aujourd’hui tellement fragilisé. Cette guerre est aussi une grande humiliation pour tous les chrétiens montrant une nouvelle fois, après des décennies d’œcuménisme, l’affreux visage de la division.

Les horreurs de Bucha disent le seul visage de la guerre : celui de la bestialité de l’homme transformé en pire ennemi de l’homme. Les citoyens et tout particulièrement les chrétiens que blesse et révolte cet outrage à notre humanité doivent revendiquer avec plus de force tous les moyens de la politique, de la diplomatie et du droit international pour envisager et construire la paix, seul futur possible pour les peuples ukrainiens et russes.

Cela demande le courage de l’écoute, du dialogue sans préjugés, de l’établissement d’authentiques médiateurs pour la paix et pas seulement d’intermédiaires au service des intérêts de chacun. Cela demande la trêve, le silence des armes, seul chemin réaliste là où la guerre affaiblit même les plus puissants, leur enlève tout contrôle de la situation. Cela demande une mobilisation large et résolue pour la paix. L’élan de fraternité montré ces dernières semaines par l’ensemble des européens avec l’accueil généreux des 3.5 millions de réfugiés ukrainiens fuyant les combats montre la force morale mais aussi opérationnelle de la paix, lorsque l’émotion transformée en solidarité gratuite permet d’absorber un choc migratoire sans précédent en réalisant au passage l’exploit de faire taire les si puissants, hier encore discours xénophobes.

Nous persévérons donc à demander la paix et d’abord le silence des armes. Au nom des plus faibles broyés par plus d’un mois de guerre et qui demandent paix, soin et consolation. Au nom de la raison qui commande d’éteindre sans tarder le feu qui dévore la maison de notre voisin. Au nom des peuples et des Eglises d’Europe, peuples-frères engagés sur le même chemin de solidarité auprès des ukrainiens exilés et Eglises-sœurs en route vers la même Pâque de résurrection.

Valérie Régnier, Présidente Sant’Egidio France, administratrice des Semaines sociales de France

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