Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : L’AME, de quoi est-elle le nom ?

L’aide médicale de l’État (AME), instaurée en 2000, permet aux étrangers, en situation irrégulière, à faibles ressources et séjournant en France depuis plus de trois mois, d’être pris en charge pour leurs soins médicaux et hospitaliers. Remarquons entre parenthèses qu’une condition d’accès à l’AME, celle qui exige une présence de trois mois sur le territoire, est quelque peu surréaliste : comment les personnes concernées pourraient-elles fournir des justificatifs de location, des factures et autres relevés d’impôts attestant de cette présence ? Quoiqu’il en soit, l’AME est une aide sociale qui bénéficie essentiellement aux personnes ayant fui leur pays, non par envie de dépaysement touristique, mais pour quitter des conditions de vie difficiles où misère et insécurité prédominent. L’AME est de ce fait un dispositif qui manifeste notre fraternité et notre hospitalité envers des populations en souffrance, car, rappelait le Comité consultatif national d’éthique en 2022, « le respect de la dignité des personnes migrantes et réfugiées, de toutes provenances et sans distinction, est une priorité », mais répond aussi à une exigence éthique d’équité, notamment dans l’accès aux soins. En d’autres termes, la mise en œuvre d’une AME est l’un des marqueurs d’humanité qu’affiche l’État.

Certes, mais d’aucuns soulignent que l’AME constitue un « appel d’air » attirant les migrants vers la France, en vertu de la « théorie » de la générosité abusive promue par les opposants à l’immigration…Les premières conclusions sur le sujet de la mission Stefanini-Evin, début novembre 2023, soulignent cependant que le dispositif est utile, pas si coûteux et n’est pas un « facteur d’attractivité ». En outre, des contrôles sont régulièrement mis en place aux frontières pour dissuader les personnes qui fuient les dictatures et les conflits d’accéder en France. Il a même été envisagé de créer d’un délit de solidarité pour les aidants des associations qui sont en permanence en première ligne pour les accueillir et les accompagner, projet heureusement récusé par le Conseil Constitutionnel. Par la suite, les personnes exilées deviennent souvent invisibles dans l’espace public parce que volontairement dispersées, même si certains dispositifs de prise en charge ont été créés. L’invisibilité grandissante des personnes exilées compromet l’effectivité de leurs droits fondamentaux et complique l’accompagnement juridique, médical et social, comme nous l’avions dénoncé en juin 2021(1) . La moitié environ des personnes exilées éligibles à cette aide ont eu recours à l’AME dont le montant annuel avoisine 0,5 % de la dépense totale de l’Assurance maladie.

Et le 14 novembre 2023, dans le cadre d’une nouvelle loi immigration, le Sénat vota la suppression de l’AME, en quelque sorte, sourd à l’appel du pape François, le 23 septembre 2023 à Marseille, où il nous demandait de faire preuve d’humanité : « Certes, les difficultés d’accueil, de protection, de promotion et d’intégration de personnes non attendues sont sous les yeux de tous. Cependant, le critère principal ne peut être […] que la sauvegarde de la dignité humaine », c’est-à dire un traitement digne à la hauteur des valeurs que nous prétendons défendre, ajoute Isabelle de Gaulmyn(2) .

Ainsi, la suppression de l’AME, si elle était maintenue, serait un coup porté à l’idéal d’humanité que l’on est censé porter, ce que le monde médical a immédiatement et logiquement souligné, aussi pour des raisons de santé publique.

« La France ne peut accueillir toute la misère du monde », entend-on régulièrement comme argument définitif pour justifier une politique frileuse en matière d’immigration. Il est vrai que le pays connaît aussi une montée de la pauvreté selon le rapport 2023 du Secours catholique et des difficultés d’accès aux soins selon le rapport 2023 de Médecins du monde (Observatoire de l’accès aux droits et aux soins), suggérant qu’il existe aujourd’hui des marges de progrès pour éliminer la misère que l’on rencontre sur le territoire, en construisant une politique volontariste d’accompagnement des plus pauvres, empreinte d’équité, d’humanité et de responsabilité et facilitant l’accès aux droits fondamentaux.

Redonner consistance au principe d’hospitalité, qu’il concerne les populations qui vivent sur le territoire ou celles qui souhaitent y accéder, obligées de quitter leur pays, pourrait être finalement un beau projet de société où le principe d’humanité s’imposerait. Ce qui est réconfortant, c’est que nombre de personnes, d’associations tentent déjà de le mettre en pratique, y compris en prenant des risques. Au passage, le dernier film de Ken Loach, « The Old Oak », met en images, avec justesse, cette ultime utopie, tellement bénéfique pour chacun…

Pierre-Henri Duée

(1) La France perd-elle son humanité ? Réforme, n° 3904, 24 juin 2021, page 4

(2)Politique, le pape François ? La Croix L’Hebdo, n° 42732, 30 septembre-1er octobre 2023, pages 40-41.

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