Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : Le pape, un samaritain argentin

A Strasbourg, il y a huit ans, le Pape sud-américain ne répondait pas à l’invitation de l’Église de France ni de l’État français mais à celle du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, basés dans la capitale alsacienne.

Cette fois-ci, en septembre 2023, il avait été invité par le cardinal Aveline, archevêque de Marseille, aux Rencontres méditerranéennes – une semaine d’échanges autour des défis de la Méditerranée qui réunissait des évêques et des jeunes venus de 25 pays du pourtour de la Méditerranée.

Un mois auparavant, après les journées mondiales de la jeunesse de Lisbonne, il rappelait : « Je suis allé à Strasbourg, j’irai à Marseille, mais pas en France » Il ne s’agissait donc pas, encore une fois, d’un voyage d’État.

Pourtant il ne fallait pas voir non plus dans cette visite « décentrée » un message politique. Le pape disait ne rien avoir contre la France et Alexis Leproux, vicaire épiscopal chargé des relations méditerranéennes dans le diocèse de Marseille ajoutait : « Mais bien sûr qu’il vient en France, il est très heureux de venir à Marseille, une ville qui a un si grand cœur et qu’il voulait connaître ».

Il n’empêche, à sa descente d’avion il est accueilli par Elisabeth Borne, première ministre, aura un entretien privé avec Emmanuel Macron qui assistera à la messe au vélodrome – au grand dam de ses opposants « laïques » – et le raccompagnera même à son avion de retour.

Bien sûr il a prononcé des discours, célébré une messe et dit une homélie au cours desquels il a délivré un message : refus de l’indifférence face au drame des migrants, justice sociale, priorité aux plus pauvres, ce qui est bien le moins pour un pape. Pourtant, s’il y a bien un message à la fois politique et évangélique dans cette visite qui n’a été que peu mis en valeur, c’est bien cette pratique du décentrement et l’invitation faite à tous d’adopter cette attitude. C’était déjà un tour de force et une bizarrerie remarquée que de se rendre en visite non pas à Paris mais à Marseille, non pas en France mais sur les rives de la Méditerranée Il a invité tout le monde à le suivre et tout le monde lui a emboité le pas : la foule des fidèles et des curieux, les évêques et le gouvernement de la République, Emmanuel Macron en tête. Et tout ceci pour s’entendre parler de ceux qui sont toujours par définition aux marges, les migrants. Non seulement mais, joignant le geste à la parole, il est allé, contre vents et marées, rendre visite aux missionnaires de la charité dans « un des quartiers les plus pauvres d’Europe ». Cette visite imprévue et imposée par le pape, mais dont nous n’avons ni images ni textes, a marqué les esprits bien au-delà du cercle des catholiques. Un commentateur avisé, a commenté ainsi sur un plateau de télévision : « il ne nous invite pas à le regarder lui mais à regarder où il va ».

En réalité s’il y a une réussite, une immense réussite, dans cette visite papale, elle est là. Il nous a invité à le suivre, au moins un peu, vers ces périphéries qu’il aime tant et il y est arrivé.

Ses mots n’auraient pas pu porter – il n’a pas beaucoup été contredit ni conspué alors qu’on l’attendait au tournant sur ce sujet très clivant des migrants – s’il n’avait pas réussi à entrainer tout le monde à sortir de son pré carré pour venir le rejoindre !

S’il y a une parabole qui illustre cette attitude c’est celle du Bon Samaritain (Lc 10, 25-37). À la question un peu perfide du Docteur de la Loi, furieux de s’entendre rappeler l’évidence du commandement d’amour du prochain : « Et qui est mon prochain ? », Jésus répond par un petit conte : voilà un homme roué de coups, dépouillé, laissé pour mort au bord de la route. A la différence des notables et des prêtres qui passent leur chemin avec toujours de bonnes raisons, le Samaritain s’arrête, relève le blessé, le soigne, le confie à l’aubergiste forcé de s’en occuper jusqu’à son retour. Et Jésus termine le décentrement suscité par la parabole en demandant : « Quel a été le prochain de l’homme tombé aux mains de brigands ? » Et l’auditoire ne peut que répondre, emboitant le pas au Samaritain : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Message spirituel sans doute mais qui a une forte puissance politique.

Jean-Pierre Rosa, ancien délégué général des Semaines sociales de France

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