Dossier Tribune du Christianisme social

La tribune : Ranimer la querelle scolaire ou changer un système à bout de souffle ?

Face au lent effondrement du système scolaire français le ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye a choisi la politique du bouc émissaire : si le système va mal, ça n’est pas sa faute, mais celle d’un « autre système », très largement fantasmé, le système d’enseignement privé qui concentrerait prioritairement des enfants de couches sociales aisées aux dépens du public qui, concentrant à l’excès les enfants issus de milieux défavorisés, serait empêché dans sa mission. Et puisque l’enseignement privé sous contrat vit pour les trois quarts des subsides de l’État, il lui sera demandé des quotas de mixité. L’idée d’un tel rééquilibrage forcé paraît séduisante au premier abord, elle a même trouvé écho à la gauche de l’échiquier politique puisque le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, poursuivant la logique du ministre, a proposé de conditionner les subventions versées aux établissements d’enseignement privé sous contrat, à des critères de mixité sociale.

Elle est en réalité profondément erronée.

Outre qu’elle violerait le principe de la liberté d’enseignement inscrit dans la constitution de 1946 puis de 1958 et régulièrement réaffirmé, elle s’attaque à un fantasme et évite le vrai problème.

Fantasme tout d’abord. La proposition du ministre intervient après l’obligation faite au ministère par voie de justice de publier les fameux IPS (Indices de position sociale) restés jusqu’alors secrets et notamment employés pour l’élaboration de la carte scolaire. Ceux-ci, publiés depuis lors en deux temps, maintenant largement disponibles, mesurent la situation sociale des élèves face à l’apprentissage. Sans surprise, on s’aperçoit que les enfants issus de milieux favorables aux apprentissages sont plus nombreux dans le privé que dans le public. Sans rappeler les disparités historiques (dans l’Ouest de la France, le privé est bien plus développé que le public puisqu’il concentre 25 % des élèves, soit par exemple 42 % dans le Maine et Loire, 50 % dans le Morbihan, 51 % en Vendée) sans dire que le taux de 17 à 18 % d’enfants scolarisés dans le privé sur l’ensemble du territoire est stable depuis des dizaines d’années (il a même baissé à la rentrée 2022), sans évoquer le dernier classement PISA qui considère l’école française comme très moyenne, peu favorable à la progression des élèves et très indisciplinée, le ministre choisit la stigmatisation d’un système dont on connaît les failles – nombre d’élèves par classes plus élevé que dans le public sur l’ensemble du territoire, pédagogie souvent classique – mais qui pourtant réussit.

Quel est alors son secret, si jamais il existe ? Il réside à mon sens dans deux caractéristiques, l’une qui ne peut être reproduite telle quelle par construction dans le système global puisqu’il s’agit de la liberté de choix justement, c’est à dire de l’implication des parents, l’autre qui est tout à fait reproductible et qui réside dans le caractère très décentralisé du système privé, chaque établissement ayant une très large autonomie de fonctionnement. Une troisième caractéristique enfin lui est largement extérieure : c’est la mauvaise qualité du système éducatif public qui attire les parents vers le privé !

Est-il envisageable que le ministre, au lieu de stigmatiser le privé, s’attaque au public pour lequel il est nommé et qui fait fuir les meilleurs éléments? Claude Allègre parlait jadis de « dégraisser le mammouth », formule confuse et malheureuse qui lui a coûté son maroquin mais qui pointait une réalité : l’Education nationale est trop centralisée, trop administrée , trop pyramidale : 1,3 millions de personnes dont 900 000 enseignants et 300 000 « non-enseignants ». Cette charge pourrait-elle être dévolue aux Régions ? Elle implique peu les parents qui la voient plus comme une contrainte qu’un soutien pour leurs enfants. Pourraient-ils expressément, selon une formule qui reste à trouver, être intégrés à la communauté éducative comme des partenaires plutôt que d’être perçus comme des gêneurs ? Des questions qui sont loin d’être neutres et engagent une vision globale du système.

Jean-Pierre Rosa

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