Dossier Rencontres anuelles

Violences du sujet, de la famille et du social

Par Michèle Cauletin

Conférence donnée au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, Comment vivre ensemble ? »

Séance présidée par Jean Flory, président de la prévention routière, membre du conseil des Semaines Sociales de France.

MICHÈLE CAULETIN, psychologue clinicienne à l’ADRETS (centre de formation, d’intervention et de recherche spécialisé dans le champ de l’action sociale, éducative et psychiatrique)

Quelle chimère est-ce donc que l’homme ?

Quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de Contradictions, quel prodige !

Juge de toutes choses, imbécile ver de terre

Dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude

Et d’erreur, gloire et rebut de l’univers,

Qui démêlera cet embrouillement ?

Pascal

La recherche que je voudrais partager avec vous aujourd’hui, à la demande des organisateurs de ce colloque, n’est pas une recherche savante. Ma pratique de clinicienne, tant auprès des enfants et des parents que je rencontre en consultation qu’auprès des équipes sociales et éducatives que j’accompagne, me confronte avec eux très régulièrement à la violence agie, subie ou retournée contre soi. Maltraitances intra-familiales, violences conjugales, enfants tyranniques, délinquants ou suicidaires, les figures de la destruction sont multiples et ouvrent parfois sur l’horreur, l’impensable.

Pourtant, tenter d’être présents auprès de ceux qui vivent ou agissent cette destructivité suppose, impose de pouvoir en comprendre quelque chose. Dans nos professions, la question du sens est centrale, vitale, à la fois pour espérer soutenir les mouvements de reconstruction, de restauration toujours présents dans les soubassements de l’agir violent et pour tenter, également, d’endiguer l’aspiration violente dans laquelle les interventions soignantes pourraient elles-mêmes se trouver prises dans cette confrontation.

Cela pour vous dire que le point de vue que je vais exposer ici s’est construit sous la pression d’un quotidien peuplé d’histoires familiales quelquefois particulièrement dramatiques et traumatiques, me convoquant à chercher avec mes collègues, au sein d’un travail pluridisciplinaire *, dans la confrontation de nos compréhensions et savoirs, dans l’appui sur la littérature et les recherches conduites par d’autres, de quoi pouvoir soutenir une présence professionnelle auprès de personnes inscrites dans des contextes violents ou aider les travailleurs sociaux et les soignants missionnés pour les accompagner à pouvoir tenir leur place sans être eux-mêmes trop détruits par ces rencontres.

Enfin, bien sûr, la question de la violence, inscrite dans la vie et dans l’homme, est trop centrale pour ne concerner que le professionnel. En tant que personne, en tant que parent et en tant que citoyen, la violence m’affecte. La vie quotidienne, avec son flot d’expériences relationnelles directes, comme son lot d’images venues du monde entier, réintroduit sans cesse l’énigme du Mal, tapi en chacun de nous, explosant ça et là en figures monstrueuses, avec comme cortège le terrible  » pourquoi ? « . Cela pour dire que la question de la violence est pour moi une question tout à la fois personnelle et collective, et une question spécifiquement humaine.

Pourquoi spécifiquement humaine ? On va parler bien sûr de la violence des éléments dans une tempête ou une éruption volcanique pour traduire la force des manifestations physiques de la nature. On parle aussi couramment de sauvagerie ou d’animalité pour qualifier certains actes violents commis par l’homme. Mais si l’on veut bien regarder avec un peu de distance, ce qui paraît le propre de l’homme, du côté de la violence, c’est la diversité des formes qu’il peut inventer pour la déployer et l’éventuelle sophistication des moyens utilisés. Il y a bien là un excès qu’aucune autre espèce n’a développé, excès pouvant conduire l’homme à s’autodétruire comme à détruire ses semblables ou son environnement qui va bien au-delà des turbulences du monde physique ou des comportements permettant au monde animal d’assurer sa survie par la quête de sa nourriture ou la défense de son territoire. Ce qui peut donc nous intéresser ici, c’est en quoi la violence nous parle de l’homme et de la condition humaine.

Mon point de départ sera donc de reprendre appui sur ce que nous avons pu comprendre de ce qui permet à l’homme de se construire en tant qu’homme, en tant que sujet d’une parole singulière et être conscient. De situer ensuite comment ce chemin d’individuation, d’hominisation se parcourt à partir de l’inscription dans une famille et dans un ordre culturel et social pour relire le surgissement de la violence comme signal des souffrances et entraves rencontrées dans sa construction d’homme.

Cette perspective nous permettra, dans un deuxième temps, de souligner quelques figures modernes des violences faites à l’homme, vécues dans les familles et inscrites dans notre organisation sociale actuelle. Il s’agira là d’essayer de dégager quelques points de repères pour nous aider à penser différents niveaux d’enjeux que la modernité nous fait traverser et qui orientent les nouvelles formes de violences.

Accepter, en tout cas, que la violence vienne nous apprendre quelque chose de nous-même et de notre condition commune est la perspective que je vous propose pour tenter d’en déjouer les effets dévastateurs, d’en apprivoiser la puissance et d’en comprendre les messages.

[Retrouvez l’intégralité de cette conférence dans les actes de la session 2002 aux éditions Bayard, disponibles en librairie]

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